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ses feux les demeures éthérées, et de son char d’or secouait la blanche lumière ; l’Aurore, épanchant sa chevelure de roses, avait dissipé les ténèbres, quand un berger chassa de l’étable vers les riants pâturages ses chèvres, et gagna les sommets d’une haute montagne, là où les gazons inondés de lumière couvraient les spacieux versants. Tantôt les bois, les buissons et les vallées cachent le troupeau vagabond ; tantôt, ramassant de tous côtés leurs bandes éparses, les chèvres agiles grimpent aux fissures aiguës d’une roche solitaire. (50) Elles tondent d’une tendre morsure l’herbe verdoyante, entament les longs rameaux de l’arbousier qui pendent, et attaquent d’une dent avide les labrusques touffus des broussailles. L’une saisit et mord la pointe des pousses que laisse retomber le saule flexible, et l’aune qui vient de naître ; une autre fourrage les tendres épines des halliers ; une autre se penche sur le bord d’un ruisseau qui réfléchit son image.

Ô bonheur du berger ! si le vain savoir de nos esprits prévenus ne dédaigne pas les jouissances du pauvre, et ne lui vante pas toutes les magnificences qu’empoisonnent les soucis, (60) et qui déchirent nos cœurs avides et ennemis d’eux-mêmes ; si jamais pour lui des toisons, payées par les trésors d’un Attale, n’ont été deux fois baignées dans la teinture d’Assyrie ; si l’éclat de l’or, rayonnant aux lambris de sa demeure, ne touche pas son cœur avare ; s’il ne connaît le vain usage ni des splendides peintures, ni de l’étincelante émeraude ; si ses coupes n’étalent pas les élégantes ciselures d’Alcon et de Boëce ; si la perle des coquilles de la mer Indienne n’a point de prix à ses yeux ; en revanche son cœur est pur : souvent il étend ses membres sur un tendre gazon, alors que la terre en fleurs déploie les pierreries de l’herbe renaissante, (70) et que le doux printemps parsème les champs de mille couleurs. Tout entier à ses pipeaux, qu’il arrache à la rive de l’étang, coulant dans les loisirs des jours exempts d’envie et de mensonge, il est riche pour lui ; l’arbuste du Tmole, jouant avec les verts sarments, le voile de sa chevelure, et jette autour de lui un manteau de pampre. Il aime les chèvres ruisselantes de lait ; il aime les bois, la féconde Palès, et, au fond des vallées, les antres sombres où coulent des eaux toujours nouvelles. Eh ! qui peut vivre d’une vie plus heureuse et plus digne d’envie que celui dont l’âme pure et le cœur sans reproche (80) ne connaît pas l’ardent amour des richesses, ne craint ni les tristes guerres, ni les funestes combats des redoutables flottes ? Il ne va pas, pour orner de brillantes dépouilles les saints temples des dieux, ou pour dépasser en s’élevant les bornes de la puissance, se jeter, la tête baissée, au-devant des cruels ennemis. Ce n’est point l’art, c’est la faux qui a poli l’image du dieu qu’il adore ; ses palais, ce sont les bois ; ses parfums d’Arabie, ce sont les fleurs qui teignent de mille couleurs les herbes des champs. Un doux repos, une volupté pure et libre, les soins d’une âme simple, voilà sa vie. Où se portent, (90) où tendent ses pensées ? Quel souci aiguillonne son cœur ? Le vivre, quel qu’il soit, en abondance, et du repos, c’est tout ce qu’il veut ; et pour ses