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par mes prières. Ne livrez plus votre âme à cette secrète amertume qui la ronge : que plutôt votre aimable bouche s’accoutume à me dire les peines de votre cœur. Voici venir le moment suprême : vous avez pu poursuivre les Troyens sur la terre et sur l’onde, allumer en Italie une détestable guerre, désoler une maison royale, et couvrir un hymen de deuil. Je vous défends de pousser plus loin vos fureurs. » Ainsi parla Jupiter. La fille de Saturne d’un air soumis lui répond en ces termes : « Grand Jupiter, c’est parce que votre volonté souveraine m’était connue, que j’ai malgré moi abandonné Turnus et la terre. (12, 810) Si je ne vous étais soumise, vous ne me verriez pas seule sur ces nuées endurer tant d’iniquités et d’outrages : mais, armée de mes feux, je paraîtrais à la tête de mes Latins, et j’entraînerais les Troyens aux funestes combats. J’ai conseillé, je l’avoue, à Juturne de secourir son malheureux frère, et je lui ai dit d’oser tout pour le sauver. Cependant c’est sans mon aveu qu’elle a tendu l’arc et lancé des traits ; je le jure par la source de l’implacable Styx, seul pouvoir que redoutent les célestes puissances. Je cède enfin, et j’abandonne des combats qui me sont odieux. Tout ce que je vous demande, et qui ne dépend pas de la loi du destin ; (12, 820) ce que je vous demande pour la gloire du Latium, et pour la majesté de ses rois issus de votre sang, c’est d’empêcher, quand la paix (j’y consens) aura, par un heureux hymen, réuni les deux peuples sous des lois jurées en commun, que les Latins, enfants de cette terre, perdent leur nom antique, deviennent Troyens, soient appelés Troyens, désapprennent la langue et les coutumes de leurs pères. Que le Latium subsiste à jamais ; que les rois albains se perpétuent dans la suite des siècles ; que la race romaine ne soit un jour si puissante que par la valeur italienne. Il n’est plus de Troie ; que le nom de Troie périsse avec elle ! » (12, 830) Le créateur des hommes et de l’univers souriant à la déesse, lui répondit : « Vous, la sœur de Jupiter, vous la fille de Saturne, vous roulez dans votre cœur les flots d’une si grande colère ! Eh bien, domptez donc enfin vos vaines fureurs. Je vous accorde ce que vous voulez de moi, et, vaincu par vos prières, je me rends volontiers. Les peuples d’Ausonie conserveront la langue et les mœurs de leurs pères ; leur nom leur restera ; mêlés à ce grand corps, les Troyens s’y engloutiront. Je donnerai seulement aux Ausoniens le culte et les rites d’Ilion ; tous n’auront qu’une langue ; tous seront Latins. Du sang mêlé de l’Ausonie naîtra une race qui surpassera en piété les hommes et les dieux eux-mêmes ; (12, 840) et nul peuple ne vous rendra d’aussi magnifiques honneurs. » Junon y consentit d’un signe de sa tête, et son cœur, rendu à la joie, fut changé. Aussitôt elle quitte les airs et la nue.

Cependant Jupiter roule dans son esprit un autre projet, et se prépare à séparer Juturne de son frère et du combat. Il est deux divinités, fléaux des humains, qu’on appelle les Furies, sœurs de l’infernale Mégère, et filles de la sombre Nuit, qui les mit au monde par un seul en-