Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/447

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chênes où se joue la lumière, tout fier de sa cime neigeuse qu’il porte jusqu’aux nues. Troyens, Rutules, Italiens, tous fixent les regards sur les deux rivaux ; ceux qui défendaient les hautes murailles, et ceux qui en battaient le pied avec le bélier, ont déposé leurs armes : Latinus lui-même est stupéfait à la vue de ces deux grands guerriers, nés si loin l’un de l’autre, qui vont lutter ensemble et confondre leurs coups. (12, 710) À peine un champ libre s’est-il ouvert aux deux combattants, que d’une course rapide, et se lançant de loin leurs javelines, ils fondent l’un sur l’autre, s’attaquent et s’entre-heurtent bouclier contre bouclier, airain contre airain. La terre en gémit : les épées se croisent avec les épées ; le hasard et la valeur se confondent. Tels sur le haut Sila ou au sommet du Taburne deux taureaux, heurtant leurs larges fronts, se ruent à un furieux combat ; les bergers se retirent tremblants ; tout le troupeau s’arrête muet d’épouvante ; et les génisses inquiètes attendent quel sera le roi des pâturages, quel chef suivra tout le troupeau. (12, 720) Ceux-ci mêlent leurs efforts et leurs coups, se poussent et se percent de leurs cornes ; le sang coule à flots sur leurs cous et leurs épaules ; tous les bois retentissent de leurs longs meuglements. Ainsi se heurtent de leurs boucliers le Troyen Énée et le noble fils de Daunus ; ainsi le fracas de leurs armes remplit les airs.

Cependant Jupiter tient ses célestes balances également suspendues, y place les destinées diverses des deux héros ; il veut connaître celui des deux que condamne le combat, et de quel côté penche la mort. Turnus bondit, se dresse de tout l’élan de son corps, lève le bras et le glaive, (12, 730) et frappe Énée d’un coup qu’il croit sûr ; mais la perfide épée du Rutule se brise, et trahit son ardent effort : il périt, s’il ne fuit ; il fuit donc plus rapide que l’Eurus ; sa main est désarmée ; il regarde, et ne reconnaît plus la poignée qu’il tient encore. On dit que, le jour où il monta sur son char attelé pour se précipiter aux premiers combats, il laissa, dans son trouble belliqueux, le glaive de son père, et saisit l’épée de Métiscus, son écuyer : elle lui avait suffi, tant que les Troyens dispersés tournaient le dos. Mais quand il en vint à s’essayer contre les divines armes de Vulcain, (12, 740) cette épée, ouvrage d’un mortel, éclata dans ses mains, comme de la glace fragile : ses débris dispersés resplendissent sur la jaune arène. Turnus éperdu fuit donc à travers la plaine, et s’engage çà et là dans mille détours incertains : d’un côté ce sont les Troyens qui l’enferment entre leurs files pressées ; de l’autre, c’est un vaste marais, ce sont les hauts remparts de Laurente qui bordent l’arène.

Énée, quoique ses genoux retardés par sa blessure empêchent de temps en temps son ardeur et ralentissent sa course, ne laisse pas de poursuivre Turnus, et presse d’un pied brûlant son pied que trouble la fuite. (12, 749) Tel un chien, impétueux chasseur, relance et presse de ses aboiements un cerf qu’un fleuve arrête sur ses bords, ou que cerne, affreux épouvantail, la pourpre mobile des toiles ; la bête, effrayée du piège et de la rive escarpée, va, vient, fait cent détours ;