Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/439

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glaive nu, il le suit de près et déjà le touche ; mais Alsus d’un revers de sa hache lui fend la tête jusqu’au menton, et arrose ses armes de son sang répandu. Un dur repos pèse sur ses yeux qui se ferment, et un sommeil de fer (12, 310) les couvre de ténèbres éternelles.

Cependant le pieux Énée, la tête nue, tendait aux siens des mains désarmées, et les rappelait par ses cris. « Où courez-vous ? Quelle est cette discorde soudaine qui s’élève ? Ah ! retenez vos fureurs ; le traité est conclu, les conditions en sont réglées ; à moi seul le droit de combattre ; laissez-moi, j’y cours : ne craignez rien, ce bras fait et cimente les traités ; ces autels m’engagent à jamais Turnus. » Il parlait encore et se répandait en vains cris, quand une flèche vole, siffle et l’atteint : (12, 320) de quelle main partait-elle ? quelle force l’avait poussée ? on l’ignore. Un dieu ou le hasard donna-t-il en ce jour aux Rutules tant de gloire ? L’honneur de ce grand coup s’est éteint dans l’oubli ; et nul ne s’est vanté d’avoir blessé Énée.

Turnus voyant Énée se retirer du champ de bataille, et ses généraux déconcertés, s’enflamme d’une nouvelle et soudaine ardeur. Il demande ses coursiers, ses armes, s’élance d’un bond superbe sur son char, et, tenant lui-même les rênes, vole à travers les bataillons ennemis, fait mordre la poussière à des milliers de braves, roule les mourants à terre, les écrase sous son char, (12, 330) et accable les fuyards des traits qu’il leur a ravis. Ainsi sur les bords glacés de l’Hèbre le dieu sanglant de la guerre, Mars bondit, frappe son bouclier, et, soufflant le feu des combats, lance ses coursiers furieux ; la plaine leur est ouverte ; ils volent plus rapides que le Notus et le Zéphyre : sous leurs pas foudroyants gémit au loin la terre de Thrace ; autour du char s’agitent, effroyable escorte du dieu, la Frayeur à la face noire, la Colère, et la Ruse sanguinaire. Tel et aussi impétueux Turnus pousse au milieu des combats ses coursiers fumants de sueur ; il insulte sans pitié ceux qu’a massacrés son bras ; une rosée de sang rejaillit sous la corne brûlante de ses coursiers, (12, 340) qui foulent çà et là le sable rougi. Il abat Sthénélus, Thamyris et Pholus ; les deux derniers de près, le premier de loin : de loin il renverse les deux frères Glaucus et Ladès, fils d’Imbrasus le Lycien : leur père les avait nourris lui-même en Lycie, les avait parés des mêmes armes, leur avait appris soit à combattre de près, soit à devancer les vents sur leurs coursiers. D’un autre côté se précipitait dans la mêlée Eumède, le glorieux fils de l’antique Dolon ; en lui revivaient avec le nom de son aïeul l’âme et les talents de son père, qui jadis s’engagea, espion intrépide, à pénétrer dans le camp des Grecs, (12, 350) et osa demander pour récompense le char d’Achille ; mais Diomède paya son audace d’un autre prix ; et Dolon n’aspire plus à posséder les coursiers d’Achille. Turnus aperçoit Eumède au milieu de la plaine ; longtemps, un léger javelot à la main, il le poursuit, sans l’atteindre, à travers l’espace ; enfin il arrête son char, saute à terre, tombe sur Eumède