Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme ce sceptre que je tiens : jamais il ne poussera de rameaux, ne donnera de feuillage ni d’ombre, depuis que, arraché dans les forêts de la souche qui l’a nourri, il est séparé de sa mère, et que sa chevelure et ses bras sont tombés sous le fer : (12, 210) jadis arbre verdoyant, aujourd’hui la main de l’ouvrier l’a entouré d’un brillant cercle d’airain, et l’a donné à porter aux rois du Latium. » C’est ainsi que les deux rois s’engageaient l’un l’autre par de communs serments, en présence des chefs des deux armées. Alors on égorge les victimes consacrées selon les rites, et que doit dévorer la flamme : on leur arrache leurs entrailles encore palpitantes ; les plats sacrés en sont chargés, et couvrent les autels.

Cependant les Rutules craignent depuis longtemps ce combat inégal, et sont agités de divers mouvements : plus ils observent les deux rivaux, moins ils jugent que leurs forces se balancent. (12, 219) Turnus surtout les émeut, quand ils le voient s’avancer d’un pas silencieux, s’incliner en suppliant, et les yeux baissés, devant l’autel ; quand ils voient ses joues flétries, et la pâleur répandue sur ce jeune et beau visage. Juturne voyant s’accroître de bouche en bouche ces discours alarmants, les cœurs chanceler et tourner à la défiance, emprunte la figure de Camerte, guerrier illustre par sa haute naissance, par les grands exploits de son père, et lui-même d’une insigne valeur ; elle se mêle aux soldats, et semant dans l’armée mille adroites rumeurs : « Rutules, disait-elle, n’avez-vous pas honte d’exposer pour vous tous la vie d’un seul homme ? (12, 230) Sommes-nous moins nombreux ou moins vaillants que nos ennemis ? Eh ! voyez-les tous devant vous, Troyens, Arcadiens, la fatale Étrurie qui s’acharne contre Turnus ! À peine chacun de nous aurait-il un ennemi à combattre. Les dieux, à qui Turnus se dévoue pour nous, élèveront sa renommée jusqu’à eux, et le feront vivre dans la bouche des mortels. Mais nous, quand nous n’aurons plus de patrie, nous serons forcés d’obéir à des maîtres superbes, nous qui demeurons, les bras immobiles, dans nos champs envahis. »

Ce discours enflamme de plus en plus la jeunesse rutule ; un sourd murmure circule de rang en rang : (12, 240) les volontés ont changé ; Laurentins et Latins, qui tout à l’heure espéraient voir la fin de la guerre, et l’État sauvé par la paix, maintenant redemandent les combats, appelant de leurs vœux la rupture du traité, et déplorent l’injuste sort de Turnus. Juturne alors précipite ces mouvements par un prodige qu’elle fait éclater dans les cieux, et qui achève de porter le trouble et la surprise dans les âmes italiennes. L’oiseau de Jupiter, au plumage fauve, volant à travers les ardentes régions de l’air, poursuivait ces oiseaux des rivages, et les bandes bruyantes de l’armée ailée : tout à coup on le voit, s’abattant sur les ondes, (12, 250) enlever dans ses terribles serres un cygne magnifique. Les esprits des Latins se relèvent : ô prodige ! tous les oiseaux, se ralliant à grands cris, obscurcissent l’air de leurs ailes, et, ramassés en nuage, fondent sur le ravisseur : l’aigle, vaincu par le nombre et