Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/431

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Dès qu’elle voit de loin, au milieu des clameurs des guerriers en furie, Camille frappée d’une mort affreuse, (11, 840) elle gémit, et laisse échapper ces paroles du fond de son cœur : « Noble fille, hélas ! que tu es cruellement punie d’avoir provoqué les Troyens au combat ! Que t’a servi d’avoir tant aimé Diane et nos forêts solitaires, d’avoir porté notre carquois sur tes épaules ? Cependant ta reine ne t’a pas abandonnée sans gloire en ce moment suprême ; ton nom sera redit avec ta triste mort parmi les nations ; et tu ne souffriras point l’infamie d’un trépas sans vengeance. Car celui qui a percé ton corps d’un fer sacrilège, payera, quel qu’il soit, ce crime de son sang. » Sur une haute montagne s’élevait un tertre que l’yeuse couvrait de ses noirs ombrages ; (11, 850) c’était le tombeau de Dercennus, ancien roi de Laurente : c’est là que la belle nymphe vole d’un élan rapide ; elle s’y arrête, et de la hauteur observe Arruns. Dès qu’elle le voit resplendissant sous ses armes, et enflé de son lâche exploit : « Où te retournes-tu, Arruns ? lui crie-t-elle. Viens ici, viens recevoir en mourant le digne prix réservé au meurtrier de Camille ; faut-il donc que toi aussi tu meures des flèches de Diane ! » Elle dit ; de son carquois d’or la nymphe de Thrace tire une flèche légère, tend son arc d’un bras irrité, (11, 860) le ramène à elle dans toute sa longueur, jusqu’à ce que les deux bouts du bois courbé se joignent et se touchent ; de la main gauche elle tient la pointe du trait, de la droite elle ramène la corde jusqu’à sa poitrine : Arruns entend le trait siffler, l’air frémir, et dans le même instant se sent percer. Il expire, et pousse ses derniers gémissements ; ses compagnons l’oublient, et le laissent étendu sans honneur sur la poussière. Opis s’envole vers l’Olympe. Alors on voit fuir la première la cavalerie légère des Volsques, qui n’a plus Camille à sa tête ; les Rutules consternés lâchent pied ; le brave Atinas est entraîné ; (11, 870) chefs et escadrons, tous dispersés, éperdus gagnent des lieux sûrs, et ramènent leurs coursiers vers les murs de la ville. Serrés de près par les Troyens qui les tuent, ils ne soutiennent plus la charge, ils ne songent plus à résister. Ils fuient, emportant sur leurs épaules languissantes leurs arcs détendus : la corne retentissante des coursiers en déroute bat la plaine poudreuse. De noirs tourbillons de poussière roulent vers les murailles de Laurente ; et les femmes, qui du haut des remparts voient s’obscurcir la plaine, se frappent la poitrine et poussent au ciel des cris lamentables. Ceux des fuyards qui se précipitent les premiers aux portes ouvertes (11, 880) sont écrasés par l’ennemi, qui tombe sur leurs débris confondus : les malheureux n’évitent point la mort ; percés sur le seuil même de leurs demeures, dans l’enceinte des murs de la patrie, à l’ombre de leurs pénates, ils rendent l’âme ; quelques-uns ferment les portes ; ils n’osent pas ouvrir un passage à leurs compagnons, ni les recevoir, tout suppliants qu’ils sont, dans leurs murs. Là il se fait un effroyable carnage et de ceux qui, les armes à la main, défendent l’entrée, et de ceux qui se précipitent sur les glaives tournés contre eux. Rejetés de l’asile des vaincus sous les yeux