Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/420

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à cette espérance ; que chacun de nous n’espère plus qu’en lui ! et encore vous voyez combien cette ressource est misérable. (11, 310) L’irréparable ruine de nos affaires est étalée devant vos yeux ; vous la voyez, vous la touchez. Je n’accuse personne ; tout ce qu’a pu faire un prodigieux courage, vous l’avez fait ; et nous avons combattu avec toutes les forces de l’État. Maintenant je vous dirai à quel avis s’arrête mon esprit incertain ; écoutez-moi ; peu de mots vous l’expliqueront. Il est un antique territoire qui s’étend au loin vers le couchant le long du Tibre, et par delà les frontières sicaniennes. Les Aurunces et les Rutules ensemencent et tourmentent avec le soc ces collines ingrates, et font paître leurs troupeaux sur les plus âpres versants. (11, 320) Que tout ce pays, avec sa montagne et sa forêt de pins, soit cédé aux Troyens pour prix de leur alliance ; que la paix soit conclue avec eux sous de justes conditions ; et appelons-les à partager nos droits de citoyens. Qu’ils s’établissent en Italie, si l’Italie a pour eux tant de charmes, et qu’ils y bâtissent des murailles. Mais s’ils cherchent d’autres contrées, s’ils veulent s’emparer d’un autre territoire et s’ils peuvent se retirer du nôtre, construisons-leur vingt vaisseaux, et même plus, s’ils les peuvent remplir. Les bois sont tout abattus sur la rive du fleuve : qu’ils prescrivent eux-mêmes le nombre et la forme des navires ; l’airain, les bras, la voilure, et le reste leur seront fournis par nous. (11, 330) C’est peu ; députons cent des principaux de la nation, qui aillent, le rameau d’olivier à la main, porter au roi des Troyens nos propositions et l’assurer de notre alliance. Ils lui porteront en présents des talents d’or et d’ivoive, avec la chaise curule et la trabée, insignes de notre royauté. Voilà mon sentiment ; délibérez à votre tour, et venez en aide à cet empire fatigué. »

Alors Drancès, jaloux en secret de la gloire de Turnus, se lève, le cœur plein de haine, et l’esprit agité par les aiguillons poignants de l’envie : libéral, éloquent, mais de glace dans les combats, habile dans les conseils, (11, 340) maître de la multitude par la sédition, fier du noble sang de sa mère, il était né d’un père inconnu. Il prend la parole, et, déchargeant sa haine sur Turnus, il accroît encore l’irritation des esprits : « Ô le meilleur des rois, dit-il, le triste état de nos affaires que vous venez de nous exposer n’est obscur pour personne, et votre voix n’a pas besoin que la mienne l’appuie. Tous ceux qui m’écoutent savent bien ce que demande l’intérêt de la nation ; mais aucun n’ose s’en ouvrir. Qu’il nous rende la liberté de parler, et qu’il rabatte de son orgueil, celui sous les auspices duquel nos armes ont été si malheureuses, et dont les sinistres prétentions (je dirai tout, quoiqu’il me menace de son fer homicide) ont fait tomber tant de guerriers, lumières de la patrie, (11, 350) ont plongé dans le deuil notre ville entière ; et cela parce qu’il tente l’attaque du camp troyen, l’intrépide soldat qui ne se fie qu’à ses pieds, et qui épouvante le ciel du fracas de ses armes. À ces nombreux présents que vous destinez aux Troyens, ajoutez-en encore un autre, ô le meilleur des rois ; et ne souffrez pas que