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même, ô Pallas, je n’aurais pas rendu à ta cendre de plus dignes honneurs (11, 170) que ceux que le pieux Énée, les illustres Phrygiens, les chefs tyrrhéniens et leur armée entière te rendent aujourd’hui, en t’élevant ce magnifique trophée enlevé aux ennemis que ton bras a terrassés : et toi aussi, Turnus, je t’y verrais figurer dans ton immense dépouille, si j’avais ta jeunesse et ta vigueur. Mais pourquoi, infortuné que je suis, retardé-je pour les Troyens l’heure des combats ? Allez, et rapportez à votre roi ces paroles : Dites-lui que la vie m’est odieuse, depuis que j’ai perdu Pallas ; que pourtant un bras vengeur peut me la faire supporter encore ; qu’Énée doit au père et au fils la mort de Turnus ; qu’il n’a plus que ce seul moyen de bien mériter de moi, (11, 180) et de me rendre la fortune moins amère. Je ne cherche plus les joies de la vie ; elles ne sont plus pour moi ; je ne veux que porter à mon fils chez les Mânes la nouvelle qu’il est vengé. »

Cependant l’Aurore avait rallumé pour les malheureux mortels le doux flambeau du jour, ramenant les travaux et les peines. Déjà Énée, déjà Tarchon ont fait élever des bûchers le long du rivage sinueux ; chacun, suivant l’usage antique, y porte les corps des siens ; les feux s’allument ; une noire et épaisse fumée enveloppe la voûte des cieux obscurcis. Trois fois les fantassins, couverts de leurs armes étincelantes, tournent en courant autour des bûchers enflammés. Trois fois les cavaliers guident leurs coursiers autour du triste incendie des funérailles, (11, 190) et poussent de lugubres hurlements. La terre est arrosée de leurs larmes ; leurs armes en sont baignées ; les cris des guerriers et le bruit montent jusqu’au ciel. Les uns jettent dans les flammes les dépouilles enlevées aux Latins immolés, des casques, des glaives splendides, des freins, des roues détachées de leurs brûlants essieux ; d’autres jettent les boucliers de ceux-là mêmes qu’ils pleurent, dons connus, armes qui ont mal servi leur vaillance. En même temps on immole autour des bûchers de nombreux taureaux ; des porcs, des animaux divers enlevés aux campagnes voisines, sont égorgés dans les flammes : de tous les points du rivage, (11, 200) Arcadiens et Troyens voient brûler les restes de leurs compagnons d’armes, ou veillent assis près des bûchers demi-consumés ; rien ne peut les arracher à ce pieux devoir, jusqu’à ce que la nuit humide, ramenant les brillantes étoiles, ait changé la face des cieux.

Les malheureux Latins de leur côté dressent aussi d’innombrables bûchers : une partie de leurs morts est inhumée ; les autres sont transportés dans les campagnes et les villes voisines. Le reste, vaste et sanglant monceau, brûle pêle-mêle et sans honneur. Alors reluisent de toutes parts dans les champs latins mille et mille incendies. (11, 210) Quand la troisième aurore a chassé du ciel les froides ombres de la nuit, on remue tristement le haut amas des cendres ; et du milieu des foyers où ils gisent confondus on tire les os, et on couvre de terre ces débris brûlants.

Mais c’est dans le palais du puissant roi Latinus qu’éclatent les plus grands transports, les plus lon-