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le vieux Drancès, qu’une haine persévérante et de perpétuels griefs animaient contre le jeune Turnus, répond à Énée en ces termes : « Ô toi, grand par ta renommée, plus grand encore par tes exploits, héros troyen, par quelles louanges t’égalerai-je aux astres ? Qu’admirer le plus en toi, ou ton équité, ou tes travaux guerriers ? Oui, nous irons pleins de reconnaissance rapporter dans notre patrie ce que tu viens de nous dire ; et, si la fortune nous en donne le moyen, nous saurons bien vous unir au roi Latinus : que Turnus cherche ailleurs des alliances. (11, 130) C’est peu ; ces murs qui vous sont promis par les destins, nous-mêmes nous les élèverons avec vous, et nous vous prêterons nos bras pour soulever les pierres destinées à la nouvelle Troie. » Ainsi parla Drancès, et tous les ambassadeurs d’y applaudir en frémissant. On convient d’une trêve de six jours. Troyens et Latins, confondus ensemble, errèrent sur les montagnes et dans les bois. Le frêne éclate, frappé par la cognée ; les pins, voisins des cieux, tombent abattus ; on ne cesse de fendre avec les coins le chêne et le cèdre odoriférant, on ne cesse de transporter des ormes sur l’essieu gémissant des chars.

Cependant la Renommée aux ailes rapides, trop prompte messagère de deuil, (11, 140) a déjà rempli de bruits sinistres le cœur d’Évandre, son palais et les murs arcadiens, elle qui naguère proclamait dans tout le Latium Pallas vainqueur. Les Arcadiens se précipitent aux portes de la ville, et, selon l’antique usage, saisissent des torches funéraires. La route brille, éclairée par un long rang de flammes qui répandent au loin leurs clartés dans la campagne. Bientôt arrivent les Troyens, qui joignent à la troupe des Arcadiens leur troupe plaintive : en les voyant entrer dans la ville, les femmes remplissent de leurs cris leurs tristes demeures. Mais rien ne peut retenir le vieil Évandre ; il s’avance au milieu du funèbre cortège, voit le cercueil qu’on a déposé à terre, (11, 150) se jette sur Pallas, le presse entre ses bras, et ne peut que pleurer et gémir. Enfin la douleur rendant le passage à sa voix, un moment étouffée : « Ô Pallas, s’écrie-t-il, ce n’est pas ce que tu avais promis à ton père, quand tu l’assurais que tu ne t’abandonnerais qu’avec prudence au cruel dieu de la guerre. Je savais bien ce que la première gloire a de douceur pour un jeune courage et jusqu’où l’emporte l’honneur qu’il cherche dans un premier combat. Prémices malheureuses de ta jeunesse ! cruel apprentissage de la guerre, qui a tenté de trop près ta valeur ! ô dieux sourds aux vœux et aux prières d’un père ! Et toi, chère et vénérable épouse, heureuse de n’être plus, tu n’as point été réservée pour ce jour de douleur. (11, 160) Mais moi, j’ai trop vécu ; j’ai forcé mes destinées pour survivre, inconsolable père, à mon fils. Ah ! si j’avais suivi les drapeaux alliés des Troyens, les RutuIes m’auraient accablé de leurs traits, seul j’aurais péri, et cette triste pompe me ramènerait moi, et non Pallas, dans ma demeure. Troyens, je ne vous impute point mon malheur, je n’en accuse non plus une alliance cimentée par la sainte hospitalité ; c’était le sort réservé à ma vieillesse. Cependant, puisqu’une mort prématurée attendait mon fils, il meurt après avoir abattu des milliers de Volsques ; il meurt après avoir ouvert le Latium aux Troyens, et ce m’est une consolation. Moi-