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tous ces retards, las d’arracher les traits qui reviennent sans cesse, et de soutenir un combat inégal qui l’épuise, (10, 890) il se recueille un moment, fond sur son ennemi, et lance un javelot dans les tempes du belliqueux coursier. L’animal se cabre, frappe les airs de ses pieds, renverse son cavalier, sur lequel il s’abat, et qu’il embarrasse et écrase de son poids. Troyens et Latins ébranlent le ciel de leurs cris ; Énée s’élance, et tirant son épée : « Où est à présent le fougueux Mézence ? où est ce féroce courage ? » Mais le Tyrrhénien lève les yeux au ciel, aspire un moment la lumière, et reprenant ses esprits : (10, 900) « Ennemi barbare, pourquoi m’insulter ? pourquoi la menace et la mort ? Tu peux me tuer sans crime, et je ne suis pas venu combattre pour que tu me pardonnes : mon cher Lausus n’a point fait avec toi un si honteux traité. Pourtant, s’il est quelque grâce pour les vaincus, je te demande seulement que mon corps soit couvert d’un peu de terre. Je sais que les implacables haines de mes peuples m’environnent ; sauve-moi, je t’en supplie, de leurs fureurs ; et accorde-moi dans le même tombeau une place à côté de mon fils. » En achevant ces mots, il reçoit dans la gorge le coup auquel il s’attendait, et il répand son âme sur ses armes avec les flots de son sang.


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LIVRE XI.


(11, 1) Déjà l’Aurore se levait sortant du sein de l’Océan. Énée au milieu des tristes soins qui le pressent, et quoiqu’il précipite le moment d’ensevelir les siens, quoique son esprit soit troublé par tant de funérailles, commence, aux premières lueurs du matin, par offrir ses vœux aux dieux qui l’ont fait vaincre. Un grand chêne, dépouillé de toutes ses branches, est élevé par son ordre sur un tertre, et revêtu des brillantes armes arrachées à Mézence ; c’est à toi, puissant dieu de la guerre, qu’il consacre ce trophée. Il y fixe l’aigrette du tyran encore dégouttante de sang, ses javelots mutilés, et sa cuirasse percée en douze (11, 10) endroits ; à la gauche il attache son bouclier d’airain ; et l’épée au fourreau d’ivoire, que portait Mézence, semble encore suspendue à son cou. Alors, environné de tous ses capitaines qui se pressent à ses côtés, il harangue en ces mots ses soldats triomphants : « Guerriers, un grand coup est porté ! Aujourd’hui plus d’alarmes ; il nous reste ces dépouilles enlevées à un roi superbe, ces prémices de la guerre : et ce terrible Mézence, je le tiens dans mes mains. Le chemin nous est ouvert à présent pour aller chercher le roi latin dans ses murs. Préparez donc vos armes, et que vos cœurs goûtent en espérance les périls de la guerre. Je vous le dis, de peur qu’au moment où les dieux nous permettront de lever nos enseignes, (11, 20) et de mener hors du camp notre brave jeunesse, un signal imprévu ne vous surprenne, et que vos courages ne languissent, enchaînés par les retards ou la crainte. Cependant songeons à déposer dans la terre les corps sans sépulture de nos compagnons ; seul honneur qui reste sur la sombre rive de l’Aché-