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un coup de son épée, Lausus le pare, arrête la pointe du glaive, et soutient l’effort du Troyen jusqu’à ce que son père, qu’il couvre de son bouclier, se soit retiré. Les Latins applaudissent à grands cris, (10, 801) lancent mille traits contre Énée, et l’accablent de loin : lui, furieux, tient bon, à couvert sous son bouclier. Ainsi quand des nuages épanchés se précipitent en grêle, bergers et laboureurs, tout fuit des champs ; le voyageur se cache comme dans un sûr asile, soit sous la rive escarpée d’un fleuve, soit sous la voûte profonde d’une roche : là, tandis que la pluie fond sur la terre, ils attendent que le soleil reparaisse, et les rende aux travaux de la journée. Tel le héros troyen, de toutes parts accablé de traits, soutient, jusqu’à ce qu’elle ait épuisé ses foudres, toute la tempête de la guerre. (10, 810) Cependant il gourmande Lausus ; et d’une voix pleine de menaces : « Malheureux, lui dit-il, pourquoi courir à la mort ? pourquoi cette audace au-dessus de tes forces ? Ta tendresse imprudente pour ton père t’égare. » Lausus ne rabat rien de sa confiance insensée : mais déjà la colère s’élève plus terrible dans le cœur du chef des Troyens, et les Parques déroulent les derniers fils de la trame de Lausus. Énée d’une main vigoureuse perce le jeune homme de part en part, et plonge dans sa poitrine son épée tout entière. La pointe traverse son léger bouclier, trop faible pour le bras qui avait tant menacé, et sa tunique, que sa mère avait tissue de fils délicats d’or ; son sein est rempli de sang, et son âme évanouie (10, 820) s’envole tristement chez les Mânes, et abandonne son corps. Mais quand le fils d’Anchise le voit mourant, quand il voit ce beau visage pâle d’une pâleur effrayante, il gémit, sent son cœur s’attendrir, et, tout saisi de l’image de la piété filiale, il étend sa main vers Lausus : « Malheureux enfant, que peut faire maintenant Énée pour honorer assez tant de vertu et tant de grandeur ? Garde ces armes qui faisaient ta joie ; je te rends aux mânes, et, si cela te touche encore, à la cendre de tes pères. Console-toi cependant, malheureux jeune homme, de ta mort déplorable ; (10, 830) tu es tombé sous le bras du grand Énée. » En même temps il gourmande les compagnons de Lausus trop lents à venir, et lui-même il soulève ce corps sans vie, avec ces beaux cheveux encore tressés que souillait le sang.

Cependant Mézence, près des rives du Tibre, étanchait le sang de sa blessure dans les eaux du fleuve, et, appuyé contre le tronc d’un arbre, y soulageait ses membres épuisés. Loin de lui pend aux rameaux son casque d’airain, et dans la prairie reposent ses pesantes armes. L’élite de ses guerriers l’entoure. Faible, haletant, il soutient sa tête languissante ; sur sa poitrine se répandent les flots de sa barbe épaisse. Sans cesse il interroge ses compagnons sur Lausus ; sans cesse il envoie des messagers (10, 840) pour le rappeler auprès de lui, et pour lui porter les ordres d’un père alarmé. Mais voici que des soldats rapportent le corps inanimé de Lausus, étendu sur ses armes ; ils pleuraient ce grand guerrier abattu par un grand