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surer avec Pallas. Comme s’élance un lion, quand du haut d’une montagne il voit de loin dans la plaine un taureau qui s’apprête au combat, ainsi Turnus apparaît et bondit. Quand Pallas le voit assez près de sa lance pour qu’elle l’atteigne, il s’avance le premier, et veut tenter si l’audace, aidée de la fortune suppléera à l’inégalité des forces : alors, élevant la voix, il adresse cette prière au ciel : (10, 460) « Grand Alcide, je te conjure par le toit hospitalier de mon père, par sa table où tu es venu t’asseoir, seconde cet immense effort de mon bras : que Turnus, expirant sous mes coups, me voie lui ravir ses armes sanglantes, et de ses yeux mourants reconnaisse en moi son vainqueur. » Hercule entend la prière du jeune homme ; il étouffe un profond gémissement prêt à s’échapper de son cœur ; il verse des larmes inutiles. Alors Jupiter console son divin fils par ces paroles amies : « Mon fils, les jours de chaque mortel lui sont comptés ; le temps de la vie humaine est court et irréparable : mais étendre par de hauts faits sa renommée aux âges futurs, c’est là l’ouvrage de la vertu. Sous les hauts remparts de Troie, (10, 470) combien sont tombés d’enfants des dieux ! j’y ai bien vu périr Sarpédon mon fils ! Déjà Turnus lui-même est appelé par ses destins, et touche au terme de la vie qu’ils lui ont accordée. » Il dit, et détourne ses regards des champs des Rutules. Cependant Pallas lance un javelot de toutes ses forces, et aussitôt il tire du fourreau son étincelante épée. Le trait vole, va frapper à l’endroit où la cuirasse s’élève au-dessus de l’épaule qu’elle couvre, perce les bords du bouclier, et enfin effleure le grand corps de Turnus. Turnus à son tour balance longtemps un bois que termine un fer acéré, (10, 480) et, le lançant contre Pallas : « Vois, lui dit-il, si mon trait pénétrera mieux que le tien. » Il dit ; le bouclier du fils d’Évandre, tout garni qu’il est de triples lames de fer et d’airain, et quoique la peau d’un taureau l’enveloppe de ses cent replis, est transpercé par la pointe du javelot, que n’arrête pas la cuirasse, et qui se fait une large ouverture dans la poitrine de Pallas. Celui-ci l’arrache, mais en vain, tout tiède encore, de la plaie : son sang et sa vie s’échappent par le même passage ; il tombe sur sa blessure, ses armes en retentissent ; et en mourant il mord de sa bouche ensanglantée cette terre ennemie. (10, 490) Alors Turnus, debout près de son cadavre : « Arcadiens, s’écrie-t-il, rapportez fidèlement ces paroles à Évandre : Je lui renvoie son fils, tel qu’il mérite de le revoir. Les honneurs du tombeau, les consolations dernières de la sépulture, je les lui accorde : il aura payé cher l’hospitalité donnée au Troyen. » À ces mots, il presse de son pied gauche le corps du vaincu, lui enlève son baudrier, qui était d’un poids énorme, et, avec ce riche trophée, l’exécrable forfait que l’art y avait représenté : c’était le massacre des jeunes époux des Danaïdes, égorgés en une seule nuit dans leurs sanglantes couches nuptiales. Clonus, fils d’Euryte, avait gravé sur l’or cette lamentable histoire. (10, 500) Paré de ces superbes dépouilles, Turnus s’en applaudit : funeste aveuglement de l’homme, qui ne sait ni le destin, ni ce que lui réserve l’avenir ! transporté par le bonheur, il n’y garde pas de mesure. Un temps viendra que Turnus souhaitera de n’avoir pas