Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

feux, dévorante armée, envahissent la plaine et s’y étendent de toutes parts ; lui, assis sur la hauteur, suit d’un regard victorieux les flammes triomphantes : (10, 410) ainsi se recueillent, ô Pallas, les courages de tes compagnons ralliés ; ainsi tu t’en réjouis. Cependant le bouillant Halésus marche contre eux, ramassé sous ses armes ; il tue Ladon, Phérète, et Démodocus ; Strymon levait la main pour lui percer la gorge ; il la lui abat d’un revers de sa brillante épée : en même temps il atteint Thoas d’une pierre, lui brise le crâne, en disperse les os et la cervelle sanglante. Le père d’Halésus, qui savait les destins, avait caché son fils dans les forêts ; mais à peine la mort eut-elle fermé à la lumière les paupières blanchies du vieillard, que les Parques mirent la main sur son fils, et le dévouèrent aux traits (10, 420) du fils d’Évandre. Pallas, avant de l’attaquer, adresse cette prière au Tibre : « Dieu du Tibre, donne un vol heureux à ce javelot que je balance, et qu’il s’ouvre un passage à travers la poitrine du farouche Halésus ! Les armes et les dépouilles de ce guerrier orneront un chêne de tes bords. » Le dieu l’exauça : tandis qu’Halésus veut couvrir Imaon de son bouclier, le malheureux livre lui-même au trait arcadien sa poitrine sans défense. Mais Lausus, l’une des plus grandes forces de cette guerre, ne permet pas qu’une mort aussi désastreuse épouvante les phalanges latines ; le premier il tue Abas, qui s’opposait à lui ; Abas qui à lui seul enchaîne et retarde le combat. Il tombe, cet enfant de l’Arcadie ; avec lui tombent les guerriers étrusques, (10, 430) et vous aussi, Troyens, corps invincibles au fer des Grecs. Les deux armées s’entre-choquent ; chefs et forces, tout est égal de part et d’autre. Les rangs se serrent jusqu’au dernier ; l’espace manque aux traits et aux mains confondues. D’un côté, c’est Pallas qui presse et qui pousse l’attaque ; de l’autre, c’est Lausus ; tous deux à peu près du même âge, tous deux beaux, mais tous deux condamnés par la fortune à ne pas revoir leur patrie. Le souverain maître de l’Olympe ne permet pas cependant qu’ils combattent l’un contre l’autre ; les destins les réservent aux coups de plus nobles ennemis.

En ce moment la nymphe Juturna, sœur de Turnus, l’avertit d’aller au secours de Lausus : (10, 440) aussitôt Turnus emporté par son char rapide perce les bataillons : « Arrêtez ! » s’écrie-t-il en voyant ses alliés, « cessez le combat ; c’est à moi, à moi seul de me porter contre Pallas ; à moi seul est réservé Pallas. Oh ! que son père n’est-il spectateur de notre combat ! » Il dit, et tout fait place aux deux rivaux. Cet ordre, la retraite des Rutules, le fier commandement, de Turnus, étonnent le jeune Pallas ; sa vue se fixe sur Turnus ; il mesure des yeux sa taille prodigieuse, le parcourt tout entier de ses regards farouches, et lui rend en ces mots sa superbe menace : « Ou je me glorifierai de t’avoir ravi tes belles dépouilles, (10, 450) ou je mourrai d’une mort illustre ; l’un et l’autre est égal à mon père : cesse donc tes menaces. » En parlant ainsi, il s’avance dans la plaine ; les Arcadiens tremblent, et tout leur sang se glace dans leurs veines. Turnus saute de son char ; c’est à pied, c’est de près qu’il veut se me-