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astres ; l’espérance rappelée dans leur cœur ranime leur colère. Mille traits partent de leurs mains : ainsi sous la nuée noire les grues du Strymon donnent le signal, traversent les airs à grand bruit, et fuient avec de joyeux cris les régions du Notus.

Turnus et les chefs ausoniens s’étonnent de cette soudaine ardeur des Troyens, jusqu’à ce que, regardant en arrière, ils voient des poupes tournées vers le rivage, et toute une flotte glisser sur les eaux. (10, 270) Sur la tête d’Énée étincelle le cimier de son casque ; son aigrette répand des flammes, et l’orbe d’or de son bouclier vomit de vastes feux. Telle une comète, par une nuit pure, rougit sanglante et lugubre ; tel l’ardent Sirius, s’élevant sur l’horizon, apporte aux malheureux mortels la soif et les maladies, et contriste les cieux de sa sinistre lumière. Cependant l’audacieux Turnus n’est point déconcerté ; il veut s’emparer du rivage, en repousser l’ennemi. Il relève donc par ses discours l’esprit de ses soldats et les excite au combat : « Ceux que vous désiriez, braves guerriers, les voici ; à vous de les écraser ! (10, 280) Mars lui-même les met entre vos mains. C’est le moment de vous souvenir de vos femmes, et de vos maisons ; maintenant rappelez-vous les hauts faits et la gloire de vos pères : marchons les premiers au rivage, tandis que les ennemis sont encore troublés, et que, descendant de leurs vaisseaux, ils posent un pied chancelant sur la grève : la fortune seconde l’audace. » Il dit, et délibère en lui-même sur le choix de ceux des siens qu’il mènera contre les Toscans, et de ceux à qui il laissera la garde du camp troyen, et les assiégés à contenir.

Cependant Énée fait jeter des ponts du haut des poupes, et ses soldats débarquent. Les uns, et c’est le plus grand nombre, cherchent des endroits où la vague redescend languissante, et d’un saut s’élancent dans les guets ; (10, 290) les autres bondissent, appuyés sur leurs rames. Tarchon examine le rivage, et remarque un endroit où les flots ne bouillonnent pas, où l’onde brisée ne rend pas de murmure, mais où la mer sans écueil amène mollement sa vague gonflée : aussitôt il ordonne qu’on tourne là les proues, et il encourage ses compagnons : « Allons, mes matelots d’élite, courbez-vous sur vos rames ; lancez, portez vos galères ; fendez de vos proues cette rive ennemie, et que la carène même s’y creuse un sillon. La terre une fois saisie, qu’importe que j’y brise mes vaisseaux ? » Ainsi parle Tarchon ; tous ensemble se lèvent sur leurs rames, (10, 300) et lancent dans les champs latins leurs galères écumantes ; enfin les proues atteignent la rive, et les carènes vont, libres du péril, s’asseoir sur la grève. Mais ton vaisseau, brave Tarchon, fut moins heureux : chassée contre un banc de sable, suspendue sur son dos inégal, sa carène se balance longtemps indécise, fatigue les flots, s’ouvre, et laisse tomber dans l’abîme soldats et matelots. Empêchés par les bancs épars des rameurs et par les avirons flottants, ils luttent en vain ; et la vague qui revient sur elle-même les arrache au rivage.

Turnus ne connaît plus de lâches retardements : impétueux, il entraîne sa troupe contre les