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En même temps il dépouille ses traits, et prend ceux du vieux Butès, autrefois écuyer d’Anchise, et le gardien fidèle de son palais. Depuis, Énée l’avait attaché à son fils Ascagne. Apollon marchait (9, 650) tout à fait semblable au vieillard ; il avait sa voix, son teint, ses cheveux blancs, sa terrible et retentissante armure : « Fils d’Énée, dit-il au prince transporté d’ardeur, c’est assez pour vous d’avoir impunément abattu sous vos traits Numanus : vous devez ce glorieux coup d’essai à la faveur d’Apollon ; le dieu n’est point jaloux que des armes mortelles égalent les siennes ; cessez, noble enfant, de chercher de nouveaux hasards. » À ces mots, Apollon se dérobe aux regards mortels, et s’évanouit dans l’air léger. Les chefs troyens reconnurent le dieu et ses flèches divines, (9, 660) et ils entendirent, pendant qu’il fuyait, résonner son carquois. Dociles aux divins conseils de Phébus, ils répriment l’ardeur guerrière d’Ascagne, retournent au combat, et leur grand cœur les rejette en face des périls. Tout à coup un grand cri s’élève le long des remparts : à l’instant les arcs sont bandés, les courroies se détendent ; toute la terre est jonchée de traits : alors les boucliers, les casques retentissent des coups qu’ils parent ; le combat devient furieux. Ainsi amenée du couchant par les Chevreaux orageux, la pluie fouette la terre ; ainsi les nuages se précipitent en grêle épaisse (9, 670) sur la grève des mers, quand le redoutable Jupiter lance sur les ailes de l’Auster la pluvieuse tempête, et rompt dans le ciel les nuées caverneuses.

Pandarus et Bitias, deux fils d’Alcanor de l’Ida, sauvages nourrissons qu’Hiéra leur mère avait élevés dans un bois consacré à Jupiter, jeunes guerriers égaux par la taille aux sapins des monts paternels, ouvrent une des portes du camp commise à leur garde, et, comptant sur leurs armes, défient l’ennemi de pénétrer dans l’enceinte des murs. Eux-mêmes, postés à droite et à gauche devant les tours, se tiennent là, le fer à la main, grandis encore par les brillants panaches de leurs casques. Tels, le long des fleuves, (9, 680) sur les rives du Pô, ou de l’Athésis au cours délicieux, deux chênes s’élèvent dans les airs, portent jusqu’au ciel leur tête que n’a point émondée le fer, et balancent leur cime élancée. Les Rutules voyant une des portes du camp ouverte, s’y précipitent : Quercens, Aquicole à la brillante armure, l’impétueux Tmarus et le belliqueux Hémon, repoussés avec toute leur troupe par les deux frères, ont tourné le dos ou laissé leur vie sur le seuil même de la porte. Alors redoublent de part et d’autre la fureur et l’acharnement des esprits ; déjà les Troyens ralliés se concentrent sur le même point ; (9, 690) déjà ils osent en venir aux mains, et pousser l’attaque hors des barrières.

En ce moment Turnus répandait ailleurs ses fureurs et culbutait tout devant lui. Tout à coup on lui annonce que l’ennemi s’est relevé, qu’il