Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/386

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en arrière il bande son arc ; et, levant les yeux vers la lune qui brillait au haut des cieux, il lui adresse cette prière : « Déesse, toi, le plus beau des astres, Latone qui gardes les forêts, sois-moi propice, et seconde l’effort de mon bras. Si mon père Hyrtacus a porté pour moi des offrandes sur tes autels ; si je les ai moi-même chargés des dépouilles des bêtes fauves ; si j’ai suspendu mes sanglants trophées à la voûte et au faîte sacré de ton temple, fais que je dissipe cette troupe, et toi guide ces traits à travers les airs. » (9, 410) Il dit, et de tout l’effort de ses membres il lance une flèche ; le trait vole, fend les ombres de la nuit, va percer le dos de Sulmon, s’y brise, et de son bois rompu lui traverse la poitrine. Sulmon roule à terre, vomit, déjà glacé par la mort, des flots d’un sang chaud ; et la vie s’exhale de ses flancs, que secouent de longs sanglots. On regarde de tous côtés ; Nisus redouble de vigueur ; et de sa main élevée à la hauteur de sa tête il balançait déjà un second trait. Tandis que la troupe est en alarme, le trait vient en sifflant frapper Tagus de l’une à l’autre tempe, et s’arrête fumant dans sa cervelle transpercée. (9, 420) Volscens transporté de fureur regarde, et ne voit pas d’où sont partis les coups, ne sait pas, dans sa rage, sur qui s’élancer : « Eh bien ! dit-il, tu payeras de ton sang ces deux morts. » En même temps, l’épée nue, il fondait sur Euryale. Alors épouvanté, hors de lui, Nisus pousse un cri ; il ne peut plus se cacher dans les ténèbres, il ne peut plus supporter un si douloureux spectacle : « Moi, c’est moi qui ai tout fait ; tournez le fer contre moi, ô Rutules ! tout le crime en est à moi. Cet enfant n’a rien osé, n’a pu rien contre vous ; j’en jure par le ciel et par ces astres, qui le savent ; (9, 430) il n’a fait que trop aimer son malheureux ami. » Tandis qu’il parle, l’épée de Volscens, poussée d’un bras furieux, perce le flanc et déchire la blanche poitrine d’Euryale. Il roule mourant sur la poussière ; le sang coule sur son beau corps, et sa tête inclinée se penche et tombe sur ses épaules. Ainsi coupée par le tranchant de la charrue, languit et meurt une fleur pourprée ; ainsi baissent leur tête, sur leur tige lasse, les pavots chargés de pluie. À l’instant Nisus se jette au milieu des ennemis ; entre tous il cherche Volscens, il n’en veut qu’à Volscens : (9, 440) les ennemis l’enveloppent, le pressent, et de tous côtés l’accablent ; lui n’en pousse l’attaque qu’avec plus d’ardeur, et fait tournoyer sa foudroyante épée ; enfin il l’enfonce dans la bouche du Rutule au moment qu’elle s’ouvre pour le menacer, et avant de mourir il ôte la vie à son ennemi. Alors, percé de mille coups, il se jette sur le corps inanimé de son ami, et là il s’endort enfin d’un tranquille et dernier sommeil. Heureux l’un et l’autre ! si mes vers peuvent quelque chose, Euryale et Nisus, jamais le temps ne vous effacera de la mémoire, des hommes ; vous y vivrez tant que la race d’Énée dominera des hauteurs de l’immobile Capitole, tant que