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de moi de pareils coups ; nous ne nous cacherons pas dans les flancs ténébreux d’un cheval. C’est en plein jour que je veux embraser leurs murs. Ils n’auront point affaire à des Grecs, et à cette patiente jeunesse qu’Hector a traînée, devant des murailles, jusqu’à la dixième année. Cependant la plus grande partie du jour est écoulée : compagnons, qui vous êtes vaillamment comportés, donnez au repos les moments qui vous restent, et tenez-vous prêts et en espérance pour l’attaque. » (9, 159) En même temps il commet à Messape le soin de poser des sentinelles devant toutes les portes du camp troyen, et d’environner les remparts de feux allumés. Quatorze chefs rutules s’avancent pour garnir les postes ; chacun d’eux est suivi de cent jeunes guerriers tout brillants d’or et de superbes aigrettes. Ils se portent çà et là sur tous les points, et se relèvent tour à tour : les autres, couchés sur l’herbe, se livrent aux délices de Bacchus et renversent les cratères d’airain. Les feux brillent de loin en loin ; le jeu charme les longueurs d’une nuit sans sommeil.

Les Troyens, du haut de leurs retranchements, observent ces mouvements de l’ennemi, et, les armes à la main, couvrent les remparts. Alarmés du péril qui les environne, ils visitent toutes les portes, (9, 170) et joignent entre eux par des ponts suspendus les ouvrages de défense. Tous sont en armes ; les travaux sont poussés par Mnesthée et par l’ardent Séreste : Énée, craignant que quelque revers n’appelât l’effort de leurs bras, les avait chargés de diriger la jeunesse troyenne et d’ordonner de tout en maîtres. Leurs soldats, se partageant les dangers et les veilles, se relèvent tour à tour des postes qu’ils ont à défendre. L’une des portes du camp était gardée par Nisus, fils d’Hyrtacus, jeune homme d’un bouillant courage : l’Ida, foulé par les chasseurs, l’avait vu quittant ses collines pour suivre Énée : Nisus excellait à pousser le javelot rapide et la flèche légère. Au même poste veillait avec lui Euryale, son ami, le plus beau (9, 180) de tous les guerriers qui revêtirent une armure troyenne ; enfant, c’est à peine si la première jeunesse se marque sur son visage par un léger duvet. Ils s’aimaient d’amitié tendre ; ensemble ils se jetaient au milieu des combats. En ce moment un commun devoir les retenait à la même porte du camp. Soudain Nisus : « Euryale, sont-ce les dieux qui soufflent à nos cœurs cette ardeur qui m’anime ? ou chacun de nous prend-il pour la voix d’un dieu son instinct impétueux ? Je ne sais, mais je sens aux bonds de mon cœur que je veux combattre ou tenter quelque chose de grand, et je ne supporte plus cet inutile repos. Tu vois la sécurité des Rutules : les feux ne brillent plus que de loin en loin ; tout le camp dort, enseveli dans le vin et le sommeil : (9, 190) partout c’est un profond silence. Écoute-moi donc : voici mon projet, et la pensée qui s’élève dans mon cœur. Chefs et soldats, tous demandent avec ardeur le retour d’Énée ; tous voudraient qu’un message fidèle fût envoyé vers lui. Si l’on me promet pour toi ce que je demanderai, c’est assez pour moi de la gloire. Je crois pouvoir me frayer sous ces hauteurs une route jusqu’aux murailles de Pallantée. » Ce dessein a saisi l’âme d’Euryale, que transporte un violent amour des louanges ; il répond en ces mots à son bouillant ami : « Eh quoi ! Nisus, tu dédaignes de m’associer aux grandes choses que tu vas en-