Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/380

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par les noirs tourbillons de ses rives, inclina sa tête, et à ce signe tout l’Olympe ébranlé trembla.

Enfin ce jour promis par les destins était arrivé, et les temps comptés par les Parques étaient accomplis. Avertie par la fureur de Turnus, la mère des dieux songea à repousser de la flotte sacrée les torches de l’incendie. (9, 110) En ce moment on vit resplendir une lumière nouvelle, et des régions de l’Aurore un grand nuage traverser les cieux ; les chœurs de l’Ida parurent ; une voix épouvantable tomba du haut des airs, et remplit de ses vastes éclats les armées des Troyens et des Rutules. « Troyens, ne vous agitez pas pour défendre mes vaisseaux ; n’armez point vos bras : Turnus embrasera plutôt les mers que ces pins sacrés. Et vous, mes galères, allez, soyez libres ; allez, déesses de la mer ; Cybèle vous l’ordonne. » Toutes au même instant rompent les noeuds qui les enchaînent à la rive, et, comme des dauphins, plongent leur proue dans les eaux ; (9, 120) elles s’y en foncent, et reparaissent, ô prodige ! nymphes des mers. Autant de proues d’airain flottaient attachées au rivage, autant de formes divines se montrent et s’élancent dans la mer. Les Rutules s’arrêtent stupéfaits ; Messape lui-même est consterné, et ses coursiers se troublent : le Tibre suspend les rauques murmures de son onde, et du plus profond de son lit recule vers sa source. Mais Turnus n’a rien perdu de sa confiante audace ; il relève et gourmande les esprits abattus des siens par ces fières paroles : « Ce prodige ne menace que les Troyens : c’est Jupiter lui-même qui leur enlève leur ressource dernière : il n’y a plus pour les Rutules ni traits, ni torches à lancer. (9, 130) La route des mers est fermée aux Troyens ; pour eux plus d’espérance de fuir : voici que la mer leur est enlevée ; la terre est dans nos mains, et cent peuples italiens sont en armes avec nous. Tous ces oracles dont les Phrygiens se vantent n’ont rien qui m’effraye, non plus que les arrêts des dieux. C’est assez pour les destins, assez pour Vénus que les Troyens aient touché la terre fertile de l’Ausonie : et moi aussi j’ai mes destins ; c’est d’exterminer par le fer une race criminelle, qui prétend m’enlever mon épouse. Cet affront ne touche pas que les seuls Atrides, et d’autres villes que Mycènes ont le droit de prendre les armes. (9, 140) Ce n’est pas assez pour ces ravisseurs d’avoir une première fois péri ; et n’est-ce pas encore trop qu’après un premier crime qu’ils ont tant expié, ils n’aient point en horreur toutes les femmes ? Ces retranchements, auxquels ils se confient, ces fossés qu’ils nous opposent, faibles barrières entre eux et la mort, voilà ce qui leur donne du cœur. Mais n’ont-ils pas vu les murs de Troie, bâtis des mains de Neptune, s’abîmer dans les flammes ? Allons, mes guerriers d’élite, qui de vous veut avec moi renverser ce rempart, et envahir ce camp perdu d’épouvante ? Je n’ai besoin ni des armes de Vulcain, ni de mille vaisseaux contre les Troyens : que toute l’Étrurie vienne au plus vite se (9, 150) joindre à eux : les ombres de la nuit, le lâche enlèvement d’un Palladium, le massacre des gardes d’un temple, ils n’ont pas à craindre