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yeux vers la lumière naissante du soleil, il puise, selon les rites, de l’eau du fleuve dans ses mains, (8, 70) et pousse au ciel cette prière : « Nymphes de Laurente, nymphes mères des fleuves, et toi, dieu du Tibre, toi, fleuve sacré, recevez Énée dans vos eaux, et gardez-le enfin des périls. Quelle que soit la source qui renferme tes eaux, toi qui as pitié de nos maux ; de quelque terre que tu sortes ; ô toi le plus beau des fleuves, tu seras à jamais honoré par moi, à jamais comblé de mes dons. Fleuve aux cornes révérées, roi des eaux de l’Hespérie, sois-moi propice, et prompt à confirmer tes divines promesses. » Il dit, et choisit dans sa flotte deux galères à double rang, (8, 80) qu’il garnit d’excellents rameurs, et qu’il pourvoit d’armes et de soldats.

Soudain (ô prodige inouï !) une laie blanche avec ses trente enfants de couleur pareille, lui apparaît à travers la forêt, et va se coucher sur la verte rive du fleuve. C’est à toi, ô Junon, reine des dieux, qu’Énée offre en sacrifice et la mère et sa tendre portée, et qu’il les immole devant tes autels. Cependant le Tibre, durant toute cette nuit, a calmé la fougue de ses ondes gonflées, et par un doux reflux s’est affaissé sur son lit silencieux : c’est un lac tranquille, c’est la surface immobile et unie d’un marais ; la rame n’a plus à lutter contre les eaux. (8, 90) Énée et ses compagnons précipitent donc leur course facile et doucement animée ; les galères aux flancs enduits de poix glissent sur les flots : les ondes, les bois infréquentés de la rive admirent ces boucliers qui reluisent au loin, ces carènes peintes qui flottent sur le fleuve. On fatigue à ramer et Ie jour et la nuit entière ; on franchit les longs détours du courant au travers des bois et sous leurs mobiles ombrages ; et les proues fendent les vertes forêts, reflétées par les eaux tranquilles. Déjà le soleil enflammé montait au plus haut des airs, quand les Troyens aperçoivent de loin, des murs, une citadelle, et quelques toits épais, que depuis la puissance romaine a élevés jusqu’au ciel : (8, 100) alors ce n’était que l’humble royaume d’Évandre. Bientôt on tourne les proues, et on s’approche de la ville.

Ce jour-là, le roi arcadien offrait dans un bois sacré, près de la ville, un sacrifice solennel à l’illustre fils d’Amphitryon et aux autres dieux : avec lui, son fils Pallas, ses principaux guerriers, et le modeste sénat de la nation, brûlaient l’encens et faisaient fumer sur les autels le sang tiède des victimes. À la vue des hauts navires qui glissaient à travers les bois ombreux, et qui pesaient sur leurs rames silencieuses, l’assemblée est saisie d’une terreur soudaine ; tous (8, 110) se lèvent, et veulent abandonner les tables du festin. Mais l’intrépide Pallas leur défend d’interrompre le sacrifice, saisit un javelot, vole au-devant des navires, et de loin, du haut d’un tertre : « Étrangers, s’écrie-t-il, quel dessein vous a fait tenter des routes égarées ? que prétendez-vous ? Qui êtes-vous ? Votre pays ? Apportez-vous ici la guerre, ou la paix ? » Alors Énée lui présentant un rameau d’olivier, symbole de la paix, lui répond en ces mots, du haut de sa poupe : « Vous voyez des Troyens, et des traits ennemis des Latins ; vous voyez des exilés que les armes su-