Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/346

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mener de rage dans leur prison les sangliers au rude poil et les ours, et hurler les loups à la taille immense : tous, privés de la forme humaine par la déesse cruelle, ont revêtu, par la force des puissantes herbes, (7, 20) les hideuses figures des bêtes sauvages. Neptune, craignant pour les pieux Troyens ces monstrueuses métamorphoses, et que, poussés vers le port, ils n’abordassent à ces funestes rivages, enfla leurs voiles d’un vent favorable, précipita leur course, et les emporta par delà le détroit orageux.

Déjà la mer rougissait des premiers feux du jour, et du haut des airs l’Aurore sur son char que traînent deux coursiers aux crins de rose, dorait au loin les ondes : soudain les vents tombent, tout souffle de l’air cesse, et la rame lutte contre une mer immobile. Cependant Énée découvre de la haute mer un vaste bois ; (7, 30) le Tibre le partage dans son cours délicieux, et va, tourbillonnant et chargé d’un sable jaune, se précipiter dans la mer : autour et au-dessus du fleuve, mille oiseaux, accoutumés à ses rives et à ses ondes, charmaient l’air de leurs chants, et volaient çà et là dans le bois. C’est là qu’Énée ordonne à ses compagnons de tourner leur proue et prendre terre ; et joyeux il entre dans les eaux et sous les ombrages du fleuve.

Je dirai maintenant, ô divine Érato, quels étaient les rois de l’antique Latium, quels événements remplissaient les temps, quel était l’état de l’empire, lorsqu’une armée troyenne aborda pour la première fois aux rivages ausoniens ; (7, 40) et je rappellerai l’origine des premiers combats. Toi, Muse, inspire le poëte ! Je dirai les horribles guerres, je dirai les armées rangées en bataille, les rois animés au carnage, les bataillons thyrréniens, et l’Hespérie entière rassemblée sous les armes. Une plus vaste carrière s’ouvre devant moi ; j’agite un plus vaste sujet. Le roi Latinus déjà vieux gouvernait dès longtemps, dans une paix profonde, les terres et les villes de son empire. Fils de la nymphe Marica, du pays des Laurentins, on dit qu’il eut pour père Faune, né de Picus : Picus, ô Saturne, remontait jusqu’à toi, à toi l’aïeul de ses aïeux. (7, 50) Latinus n’avait point d’enfant mâle ; un fils que les destins lui avaient donné lui fut enlevé dans la fleur de ses jours. Une fille lui restait, qui seul soutenait une si grande maison et un si beau trône, vierge déjà nubile, et que les ans ont achevé de mûrir pour l’hymen. Cent princes du vaste Latium et l’Ausonie entière prétendaient à sa main : le plus beau de tous est Turnus, Turnus fier de la longue suite de ses aïeux, et que la reine souhaitait avec une extrême ardeur d’unir à sa fille. Mais les dieux par mille prodiges épouvantables s’opposaient à cette alliance.

Au milieu du palais, au sein même des pénates domestiques, était un laurier (7, 60) aux rameaux sacrés, et qu’un respect religieux conservait depuis longtemps. Le roi, dit-on, l’avait trouvé planté dans le lieu même où il avait jeté les fondements de sa ville, et l’avait consacré à Apollon. Les Laurentins en prirent leur nom. Un jour, ô prodige incroyable ! des abeilles, comme une nuée épaisse, vinrent, traversant les airs avec un