Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’art d’exciter les courages par les sons de l’airain, et de rallumer le feu des batailles. Autrefois compagnon du grand Hector, il parcourait avec lui les champs du carnage, se signalant entre tous et par la trompette et par la lance. Après qu’Achille vainqueur eut arraché la vie à Hector, le vaillant Misène s’attacha au fils d’Anchise, (6, 170) et suivit des destins non moins glorieux. Mais un jour qu’il faisait retentir les rivages des sons de sa conque guerrière, et qu’il provoquait, l’insensé ! les dieux de la mer à une lutte inégale, Triton, s’il est permis de le croire, saisit ce rival impie, et le plongea entre les rochers sous la vague écumeuse.

Tous les Troyens, le pieux Énée surtout, poussaient de grands cris de douleur en revoyant Misène. Alors ils se hâtent en pleurant d’exécuter les ordres de la Sibylle. On s’empresse d’amasser des arbres, et d’élever jusqu’au ciel un autel funéraire. On pénètre dans une antique forêt, profonde retraite des bêtes fauves. (6, 180) Les sapins tombent abattus ; l’yeuse éclate sous les coups retentissants de la cognée : les troncs des frênes et des chênes se fendent, déchirés par les coins ; et les grands ormes roulent du sommet des montagnes. Énée le premier pousse à l’œuvre ses compagnons, et comme eux s’arme de la cognée. Alors, jetant un regard sur la forêt immense, il roule dans son cœur de tristes pensées ; et cette prière s’échappe de sa bouche. « Oh ! si le précieux rameau d’or se montrait à moi dans les vastes profondeurs de ce bois ! La Sibylle a parlé, et ton infortune, ô Misène, ne prouve que trop la vérité de ses oracles. » (6, 190) Comme il disait ces mots, deux colombes fendant les airs passent sous ses yeux, et vont s’abattre sur le sol verdoyant. Alors le héros reconnaît les oiseaux aimés de sa mère, et joyeux il les prie ainsi : « Ô vous, soyez mes guides, et que votre vol me trace le chemin vers ces bois, où le riche rameau ombrage la terre féconde ; et toi, ne manque pas à ton fils dans sa détresse, ô ma divine mère ! » Il dit, et s’arrête, observant les signes avant-coureurs, et de loin en loin l’essor des colombes. Celles-ci s’avançaient voltigeant et paissant d’espace en espace ; (6, 200) mais toujours l’œil les pouvait suivre dans leurs capricieux ébats. Enfin elles arrivent près des gouffres méphitiques de l’Averne : là elles s’enlèvent rapides et légères, glissent à travers les airs liquides, et vont se poser toutes deux sur l’arbre désiré. Son or brillait en reflets étincelants à travers une sombre verdure. Ainsi, durant les brumes glaciales de l’hiver, on voit dans les forêts le gui étaler sa feuille verdoyante sur le chêne qui n’en a point porté la semence, et entourer le tronc lisse de l’arbre de ses baies de safran. Tel paraissait sous un chêne touffu le rameau d’or ; telles ses lames brillantes frémissaient remuées par un doux zéphyr. (6, 210) Énée, de le saisir aussitôt, de l’arracher, quoiqu’il résiste à ses mains impatientes, et de le porter à l’antre de la Sibylle.

Cependant les Troyens, rassemblés sur le ri-