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et ce n’est point en vain qu’Hécate vous a commise à la garde des bois sacrés de l’Averne. (6, 119) Orphée a pu, grâce aux doux accords de sa lyre de Thrace, rappeler des enfers les mânes de son épouse ; Pollux mourant pour son frère le rachète du trépas, et tour à tour s’en va vers les sombres bords, et revient à la lumière : que dirai-je de Thésée et du grand Alcide ? Et moi aussi je descends comme eux du puissant Jupiter. »

Enée, en parlant ainsi, tenait les autels embrassés. Alors la Sibylle : « Illustre rejeton du sang des dieux, fils d’Anchise, il est facile de descendre dans les gouffres de l’Averne : nuit et jour est ouverte la porte du noir dieu des enfers. Mais s’échapper du sombre abîme et remonter vers les régions de la lumière, c’est là le suprême effort pour un mortel : quelques hommes, issus des dieux, l’ont pu, ceux-là seulement que Jupiter propice a aimés, (6, 130) et que leur ardent génie a élevés jusqu’aux astres. Des forêts couvrent les vastes espaces qui nous séparent des enfers, et alentour le Cocyte roule ses noires ondes. Mais si tu es entraîné par un pieux amour, si tu as tant d’envie de passer deux fois le marais du Styx, de voir deux fois le ténébreux Tartare ; si tu veux t’abandonner à cette entreprise insensée, écoute ce que tu dois faire d’abord. Entre les branches d’un arbre touffu, se cache un rameau à la tige et au feuillage d’or : il est consacré à la Junon des enfers : le bois sacré tout entier le couvre de son ombre, et les vallées environnantes l’enferment dans une profonde nuit. (6, 140) Nul ne peut pénétrer dans les demeures souterraines, avant qu’il n’ait détaché de l’arbre la branche aux fruits d’or. La belle Proserpine a voulu qu’on lui portât ce riche présent qu’elle s’est réservé. À peine le rameau est-il arraché, qu’un autre renaît soudain, et que la tige ravivée pousse des feuilles du même métal. Va donc, et cherche des yeux la branche dans les hautes épines des arbres ; et dès que tu l’auras trouvée, cueille-la selon les rites : tu la verras facile et obéissante suivre d’elle-même, ta main, si les destins t’appellent aux enfers ; sinon, aucune force humaine n’en triomphera, et le fer même ne pourra la séparer de l’arbre. C’est peu : tandis que tu consultes ici les dieux, et que tu t’arrêtes suspendu à nos oracles, le corps inanimé de l’un de tes amis (6, 150) (tu l’ignores, hélas !) est gisant sur le rivage, et ses restes oubliés infectent toute la flotte. Va donc les rendre à la terre, et dépose-les dans la tombe. Conduis près de là et immole des brebis noires : que ce soient tes premières expiations. Alors enfin tu pourras voir les bois sacrés du Styx et les royaumes inaccessibles aux vivants. » Elle dit, et se tut.

Enée, le visage triste et les yeux baissés, sort de l’antre de la Sibylle, et roule dans son cœur les inquiétants secrets de l’avenir : le fidèle Achate l’accompagne, agité des mêmes soucis. Tous deux cheminaient, (6, 160) s’entretenant de sujets divers : ils se demandent quel est celui de leurs compagnons dont la Sibylle leur a annoncé la mort, quel corps ils ont à inhumer. Voici qu’en arrivant près des vaisseaux, ils voient étendu sur le rivage aride Misène, fils d’Éole ; Misène, qu’une mort déplorable a frappé. Il n’eut jamais son égal dans