Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlant ainsi, il s’attachait au gouvernail, et, le serrant de toute la force de ses mains, il tenait ses yeux fixés sur les étoiles. Mais le dieu secoue sur ses tempes un rameau trempé dans les eaux du Léthé, et pénétré de la rosée assoupissante du Styx, et noie dans le sommeil sa paupière qui lutte encore. À peine une langueur subite avait-elle envahi ses membres abandonnés, que le dieu, pesant sur lui, l’entraîne avec le gouvernail et une partie de la poupe qu’il arrache, et le précipite dans le sein des ondes. (5, 860) Le malheureux appelle encore, mais en vain, ses compagnons ; le dieu s’envole, porté dans les airs sur ses ailes légères.

Cependant la flotte poursuit sa course heureuse à travers les mers, et vogue sans terreur, sur la foi de Neptune. Déjà elle cinglait à la hauteur des rochers des Syrènes ; écueils jadis redoutables, et blanchis des ossements de tant de malheureux. En ce moment les rochers retentissaient au loin du bruit rauque et incessant des vagues : Énée s’aperçoit qu’il n’a plus de pilote, et que son navire flotte à la merci des ondes ; il le conduit lui-même à travers les flots ténébreux, gémissant dans son cœur, et consterné du malheur qui l’a privé d’un ami : (5, 860) « Hélas ! dit-il, pour t’être trop confié à la sérénité du ciel et au calme des flots, ton corps, ô Palinure, restera nu sur un rivage ignoré ! »


Séparateur



LIVRE VI.


(6, 1) Ainsi parlait Énée en pleurant : il abandonne aux vents ses voiles déployées, et, glissant sur les eaux, il aborde enfin au rivage de Cumes Eubéenne. Aussitôt on tourne les proues du côté de la mer ; l’ancre à la dent mordante fixe les navires sur les flots, et les poupes recourbées bordent le rivage. Soudain l’ardente jeunesse s’élance et prend terre sur la rive ausonienne : les uns cherchent les semences de la flamme que recèlent les veines des cailloux ; ceux-ci, forçant les sombres retraites des bêtes fauves, enlèvent la dépouille des forêts, et se montrent les fleuves qu’ils ont découverts.

Mais le pieux Énée gagne les hauteurs qu’Apollon, dieu des montagnes, (6, 10) a consacrées par sa présence, et s’enfonce dans l’antre immense et ténébreux de la redoutable Sibylle, à laquelle le dieu de Délos souffle son esprit puissant et le feu de son âme prophétique, et découvre l’avenir. Déjà le héros et ses compagnons ont pénétré dans le bois sacré d’Hécate et sous les voûtes dorées de son temple. On dit que Dédale, voulant fuir du royaume de Minos, osa se confier aux airs sur des ailes rapides, et, s’ouvrant à travers les cieux une route inaccoutumée, vola vers les froides régions de l’Arctos, et s’abattit, léger comme l’oiseau, sur les hauteurs de Cumes. Descendu sur cette terre hospitalière, il te consacra, divin Apollon, ses ailes, rames aériennes, et te bâtit un temple immense. (6, 20) Sur les portes de l’édifice était représenté le meurtre d’Androgée : on y voyait les sept jeunes garçons qu’en expiation de ce crime les fils de Cécrops étaient forcés (cruel tribut !) de livrer tous les ans : l’urne fatale est là ; le sort va prononcer. Vis-à-vis