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quand j’aurai bâti une ville, que je renouvelle chaque année ces sacrifices dans des temples consacrés à sa mémoire. Aceste, comme nous enfant de Troie, vous fait présent de deux bœufs pour chaque navire : appelez à vos festins les pénates de la patrie et ceux qu’adore votre hôte, Aceste. Ce n’est pas tout : si la neuvième Aurore fait briller pour les mortels un jour serein, et illumine le monde de ses traits rayonnants, j’ordonnerai des jeux, et vos rapides galères ouvriront le combat sur les eaux. Que ceux qui sont légers à la course, qui excellent à déployer leurs forces, à lancer le javelot et la flèche légère, ou qui, plus hardis, ne craignent pas d’engager la lutte avec le ceste aux rudes lanières, (5, 70) se présentent, et viennent se disputer des palmes méritées. Vous tous cependant priez, et ceignez vos fronts de feuillage. »

Il dit, et le premier ceint son front du myrte maternel : ainsi font Hélymus, Aceste déjà mûr par les années, Ascagne encore enfant ; ainsi fait toute la jeunesse troyenne. Alors, du milieu de l’assemblée, le fils d’Anchise s’avance, environné de la foule des peuples, vers le tombeau de son père. Là il répand, selon les rites, deux coupes remplies du vin pur des libations, deux d’un lait nouveau, deux d’un sang sacré. Il jette des fleurs sur la tombe, et prononce ces paroles : (5, 80) « Salut, ô mon divin père ! salut, cendres chéries, vains restes que j’ai recueillis ! salut, ombre et mânes paternels ! Il ne m’a donc pas été permis, ô mon père, de chercher avec vous cette terre d’Italie, ces fatales contrées, ce Tibre, quel qu’il soit, où les destins m’appellent ! »

À peine achevait-il ces mots, que du fond du tombeau un serpent aux écailles luisantes sort en traînant sept cercles immenses, sept replis tortueux ; tranquille, il embrasse le tombeau, et glisse entre les autels : son dos est marqué de taches azurées ; l’or semé sur ses écailles les embrase de son éclat flamboyant : ainsi l’arc-en-ciel dans les nuages se teint de mille couleurs, sous les feux opposés du soleil. (5, 90) Ce prodige frappe Enée de stupeur : mais le serpent enfin s’allonge, glisse entre les coupes et les vases polis, goûte des mets, se retire sans violence dans le fond du tombeau, et rassasié quitte les autels. La piété du héros s’en émeut davantage, et il continue le sacrifice qu’il a commencé ; incertain s’il a vu le génie tutélaire du lieu, ou un génie, gardien des mânes d’Anchise. Il immole selon la coutume cinq brebis noires, autant de truies, autant de jeunes taureaux noirs. Cependant il répandait le vin des libations, et appelait l’âme du grand Anchise, et ses mânes sortis de l’Achéron. (5, 100) Les Troyens à leur tour apportent leur part des offrandes, en chargent les autels, immolent des taureaux. En même temps on dressait sur les brasiers les vases d’airain : couchés sur l’herbe, les compagnons du héros entretiennent la flamme ardente du festin sacré, et font rôtir les entrailles des victimes.

Enfin le jour fixé pour les jeux, ce jour si attendu, était arrivé, et déjà les coursiers de Phaéthon ramenaient brillante et pure la neuvième Aurore. L’éclat des jeux et le nom de l’illustre Aceste avaient de toutes parts rassemblé les peuples voisins ; leur foule joyeuse remplissait les rivages : tous ils voulaient voir les