Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/297

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(4, 160) Cependant le ciel commence à retentir d’un effrayant murmure : un nuage éclate, mêlé de pluie et de grêle. Les Tyriens et la jeunesse Troyenne, et le petit-fils de Vénus, fuient de tous côtés à travers les campagnes, et dans leur frayeur cherchent des abris : des torrents s’élancent du haut des monts. Didon et le chef des Troyens se retirent dans la même grotte : la Terre la première et Junon donnent le signal ; les feux du ciel étincelèrent ; l’Éther s’enflamma, complice de l’Hymen ; et les nymphes en hurlèrent sur le sommet des montagnes. Ce jour fut pour Didon le commencement de sa mort, et le premier de ses jours infortunés. (4, 170) Maintenant rien ne la touche, ni la décence ni l’honneur ; ce n’est plus un amour secret qu’elle prétend cacher ; elle l’appelle un hymen, elle couvre de ce nom sa déplorable faiblesse.

Aussitôt la Renommée va parcourant les grandes villes de la Libye ; la Renommée, le plus rapide de tous les maux. La mobilité est sa vie, et elle acquiert des forces en courant. D’abord petite et timide, elle grandit et s’élève dans les airs ; elle chemine sur la terre, et cache sa tête dans les nues. La Terre, irritée contre les dieux, l’enfanta, dit-on, la dernière ; elle est la sœur des géants Cée et Encelade, (4, 180) aussi rapide des pieds que de l’aile. C’est un monstre horrible, immense, le corps couvert de plumes, et qui sous chacune d’elles a des yeux toujours ouverts, une bouche et une langue toujours retentissantes, des oreilles toujours dressées. La nuit, il vole à travers les cieux, et déploie ses ailes bruyantes au milieu des ombres de la terre ; jamais le doux sommeil n’abaisse ses paupières. Le jour, il s’assied, sentinelle immobile, sur le toit des hautes maisons ou sur les tours élevées, et de là il jette l’épouvante dans les grandes villes, aussi ferme à tenir pour le mensonge et la calomnie, qu’à répandre la vérité. Alors l’affreuse déesse semait avec joie mille bruits divers parmi les peuples, (4, 190) disant tout à la fois et ce qui était et ce qui n’était pas. Elle allait publiant qu’Énée, issu du sang troyen, était arrivé sur la terre d’Afrique, et que la belle Didon ne dédaignait pas de s’unir à lui ; qu’ils passaient tous deux le long hiver dans la mollesse et les délices, oubliant leurs empires, et épris l’un pour l’autre d’une indigne passion. Voilà ce que l’odieuse déesse répandait çà et là dans toutes les bouches. Aussitôt elle prend son vol vers le roi Iarbas, enflamme son cœur par ses discours envenimés, et y amasse tous les orages de la colère.

Fils de Jupiter Hammon et d’une nymphe du pays des Garamantes enlevée par le dieu, il avait élevé dans ses vastes États cent temples magnifiques au maître de l’Olympe, (4, 200) et cent autels où des feux nuit et jour allumés veillaient éternellement en l’honneur des dieux ; le sang des grasses victimes y ruisselait sur les parvis, et les portes étaient couronnées de guirlandes toujours fleuries. On dit que, furieux et enflammé par le cruel récit des nouvelles amours de Didon, Iarbas, au milieu même des autels des dieux, exhala suppliant, et les mains levées vers Jupiter, ces plaintes insensées : « Dieu tout-puissant, à qui la nation des Maures, dans ses festins et sur ses lits aux mille couleurs, ne cesse de faire de pieuses