Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/296

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Junon reprit en ces termes : « Ce soin me regarde : maintenant je vais vous dire en peu de mots le moyen que j’ai imaginé pour hâter la fin de cet heureux événement. Enée et la malheureuse Didon doivent aller ensemble dans la forêt pour y chasser, dès que Phébus aura montré son front matinal à la terre, et l’aura illuminée de ses rayons naissants. (4, 120) Là, tandis qu’en tumulte on déploiera les filets, et que les forêts seront assiégées par la troupe des chasseurs, je ferai s’épancher sur eux du haut des airs un nuage noir mêlé de grêle, et j’ébranlerai tout le ciel par les éclats du tonnerre. Les chasseurs se disperseront, enveloppés d’une nuit épaisse. Didon et le chef des Troyens iront ensemble se réfugier dans la même grotte. J’y serai présente ; et si je suis assurée de votre volonté, j’unirai Didon à Énée par des nœuds durables, et je la lui donnerai pour épouse. Le dieu Hyménée sera là. » La déesse de Cythère ne refusa pas à Junon ce qu’elle demandait ; elle comprit la ruse, et en sourit.

Cependant l’Aurore se levant quittait le sein de l’Océan, (4, 130) et allumait le flambeau du jour, quand l’élite de la jeunesse tyrienne sortit des portes de Carthage. Les filets, les toiles, les épieux garnis d’un large fer, tout est prêt ; les cavaliers massyliens se précipitent, et avec eux la meute des chiens ardente à flairer sa proie. La reine, qui tarde à sortir de son palais, est attendue par les grands de Carthage. Son coursier tout brillant de pourpre et d’or est là qui, fier et impatient, ronge son frein écumant. Enfin elle paraît, environnée d’une nombreuse escorte : sa chlamyde de Tyr est bordée d’une frange aux mille couleurs ; son carquois est d’or ; l’or retient ses cheveux assemblés ; une agrafe d’or soutient les plis ramassés de son manteau de pourpre. (4, 140) Autour d’elle s’avancent les Phrygiens, et Ascagne tout joyeux : le plus beau d’eux tous, Énée se porte à la rencontre de la reine, et se joint à l’escorte. Tel Apollon, quand il quitte la Lycie que l’hiver a glacée, et les rives du Xanthe, et qu’il va revoir Délos son île maternelle, y recommence ses chœurs sacrés : confondus autour de ses autels, les Crétois, les Dryopes, et les Agathyrses qui se peignent le corps, dansent en frémissant : le dieu marche à grands pas sur les cimes du Cynthe ; une branche de laurier presse mollement sa chevelure flottante, où l’or s’entrelace ; ses flèches retentissent sur ses épaules. Tel et aussi agile marchait (4, 150) Enée ; ainsi brille la grâce répandue sur son noble visage. Lorsqu’on eut atteint les hautes montagnes et pénétré dans les inaccessibles retraites des bois, voici que, précipitées de la crête des rochers, les biches courent le long des pentes : d’un autre côté les cerfs, abandonnant les hauteurs, traversent d’une course légère les vastes plaines, et ramassent en fuyant leurs escadrons poudreux. Le jeune Ascagne, charmé du vif coursier qu’il monte, vole à travers les vallées, et devance tantôt les uns, tantôt les autres : il voudrait, dans son ardeur, voir venir à lui, au milieu de ces timides troupeaux, un sanglier écumant, ou un lion à la fauve crinière descendre de la montagne.