Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/288

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de rappeler les mots à leur place, d’en rassembler le sens ; et qui vient consulter la prêtresse s’en retourne sans réponse, et maudit l’antre de la Sibylle. Cependant ne sois pas avare d’un temps qui ne sera point perdu pour toi : en vain tes compagnons impatients accusent ta lenteur ; en vain la mer appelle et entraîne tes voiles, et tu pourrais les livrer au souffle heureux des vents : que rien ne t’arrête ; va trouver la Sibylle, implore ses oracles ; qu’elle-même te parle, qu’elle-même laisse échapper de sa bouche complaisante ses sons prophétiques. Elle te dira les peuples divers de l’Italie, et tes guerres futures, et comment tu fuiras ou surmonteras les travaux qui t’y attendent ; (3, 460) invoque-la pieusement, elle secondera tes courses aventureuses. Voilà ce que ma voix mortelle pouvait te révéler : va, cours, et, par tes hauts faits, porte au ciel les grands destins de Troie."

« Hélénus, après m’avoir parlé ainsi d’une bouche amie, ordonne que des présents d’or et d’ivoire soient portés sur mes navires ; il y entasse l’argent ciselé, les vases d’airain de Dodone, une riche cuirasse où l’or s’entrelace à triple maille, un casque brillant avec son aigrette flottante : c’étaient les armes de Pyrrhus. Mon père aussi a sa part des présents ; (3, 470) Hélénus y ajoute des chevaux et des guides, recrute pour nous des rameurs, fournit des armes à mes compagnons.

« Cependant Anchise donna l’ordre d’appareiller, et de s’abandonner sans retard au vent favorable. L’interprète d’Apollon, touché pour le vieillard d’un pieux respect, lui parle en ces termes : "Mortel chéri des dieux, vous le digne et glorieux époux de Vénus, vous deux fois arraché aux ruines de Pergame, la voici devant vous cette terre de l’Ausonie ; saisissez-la à pleines voiles. Et cependant il vous faudra côtoyer longtemps ses rivages ; vous êtes encore loin de cette partie de l’Italie qu’Apollon vous découvre par ses oracles. (3, 480) Partez, heureux père du plus pieux des fils ! qu’ai-je à prolonger cet entretien, et pourquoi retarderais-je les autans qui s’élèvent ?" Andromaque aussi, qu’attriste ce moment suprême du départ, nous apporte ses présents, à moi des vêtements chamarrés d’or, à Ascagne un manteau phrygien : elle ne le cède pas à Hélénus en magnificence ; elle charge mon fils des plus riches tissus, et lui parle ainsi : "Reçois, cher enfant, ces ouvrages de mes mains ; qu’ils te fassent te souvenir de moi, et qu’ils attestent longtemps l’amitié qu’eut pour toi la veuve d’Hector ; prends-les, ce sont les derniers présents des tiens, toi la seule image qui me reste de mon Astyanax ! (3, 490) Il avait ces yeux, ces mains, cet air ; il aurait ton âge, il grandirait avec toi !" En m’éloignant, je leur disais, les yeux pleins de larmes : "Vivez heureux, vous qui avez enfin fixé le cours de votre fortune ! Nous, nous sommes jetés de destins en destins ; vous, vous avez le repos ; vous n’avez point de mers à sillonner, pas de champs ausoniens toujours reculant devant vous, et toujours à chercher ; vous voyez ici une image du Xanthe, et une autre Troie que vos mains se sont faite : puisse-t-elle subsister sous de meilleurs auspices, et n’être plus exposée à la fureur des Grecs ! (3, 500) Si jamais j’entre dans le Tibre et dans les campagnes voisines du Tibre, si je vois s’élever les murs promis à ma nation, nos villes et nos