Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/287

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aux dieux sauveurs, souviens-toi de couvrir ta tête d’un voile de pourpre, de peur qu’au milieu des feux sacrés et de la pompe divine un visage ennemi ne se présente à toi et ne trouble les présages. Retenez, tes compagnons et toi, cet usage des sacrifices, et que la tradition sainte en soit perpétuée par tes pieux descendants. (3, 410) Mais lorsque les vents, te poussant au large, t’auront porté vers les côtes de la Sicile, et que tu verras s’élargir devant toi l’étroite barrière de Pélore, cingle vers la gauche, et par un long circuit gagne de ce côté et les mers et la terre ; fuis tout ce qui s’étend à droite, et l’onde et les rivages. Ces continents, dit-on, rompus par l’effort des eaux, se sont séparés dans un vaste et soudain déchirement : tant la longue durée des siècles peut causer de changements ! Les deux terres n’en formaient qu’une : la mer vint tout à coup se jeter au travers, sépara les régions de l’Hespérie de celles de la Sicile, et, s’ouvrant un étroit passage entre les deux rives, baigna deçà et delà les villes et les campagnes. (3, 420) Deux monstres, Scylla à droite, à gauche l’implacable Charybde, assiègent le rivage : trois fois Charybde absorbe les vastes flots précipités dans ses gouffres sans fond ; trois fois elle les rejette vers les cieux, et les lance contre les astres. Mais Scylla, emprisonnée dans les ténébreux abîmes d’une caverne, avance la tête hors de son repaire, et attire les vaisseaux contre ses rochers. Son visage est d’un homme ; elle a le sein ravissant d’une vierge ; baleine énorme par le reste de son corps, sa queue se termine en dauphin, et ses flancs sont d’un loup. (3, 429) Il vaut mieux t’éloigner, tourner lentement le promontoire de Pachynum, et, prolongeant ta course, décrire un vaste circuit, que de voir une seule fois dans son antre béant l’affreuse Scylla, et ces rochers retentissant des rauques hurlements des chiens. Enfin, si Hélénus n’a pas en vain la science de l’avenir, si tu as quelque confiance dans l’interprète d’Apollon, et si sa vérité sainte remplit mon cœur, je te donnerai, fils de Vénus, ce conseil, le plus important de tous. Oui, je ne saurais trop te le dire et te le redire, avant tout rends-toi Junon propice par tes prières ; n’épargne ni les vœux ni les dons des suppliants, pour vaincre le courroux de la puissante reine des dieux : ce n’est qu’après l’avoir fléchie que, (3, 440) laissant derrière toi la Sicile, tu t’élanceras en vainqueur dans les champs ausoniens. Quand tes vaisseaux t’auront porté là, et que tu seras arrivé à la ville de Cumes, tu visiteras ces lacs divins, le Lucrin et l’Averne, et leurs forêts retentissantes, et la prêtresse inspirée qui, sous son rocher caverneux, chante les destins des mortels, et confie à des feuilles légères les caractères sacrés de ses paroles fatidiques. Tous les oracles que la vierge a tracés sur ces feuilles sont rangés par elle en un ordre certain, et laissés au fond de l’antre, qui se ferme sur eux. Là ils restent immobiles, et rien n’en trouble l’arrangement. Mais si, la porte tournant sur ses gonds, le vent vient à remuer ces fragiles empreintes et à les disperser, (3, 450) la Sibylle alors dédaigne de ressaisir ses oracles voltigeant dans son antre,