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ter. Alors je m’adresse au roi, prêtre et devin, et je l’interroge en ces termes : "Enfant de Troie, vous l’interprète des dieux, vous à qui l’esprit d’Apollon se fait sentir (3, 360) et dans le trépied sacré, et dans les lauriers de Claros, et dans les astres des cieux ; vous pour qui l’oiseau a son langage, l’aile qui fend l’air ses présages, parlez, je vous écoute. Partout la religion m’annonce un terme heureux à ma course ; et tous les dieux m’ont conseillé de gagner l’Italie, et de pénétrer jusqu’en ses champs reculés. La seule Harpie Céléno nous annonce un prodige horrible, nous menace du courroux funeste des dieux, et de la plus hideuse famine. Lesquels de ces périls éviterai-je les premiers ? Qu’ai-je à faire pour surmonter d’aussi grandes épreuves ?"

« Alors Hélénus immole, selon la coutume, des taureaux (3, 370) aux dieux, pour se les rendre propices ; il détache les bandelettes qui ceignent sa tête sacrée, et me conduit tout tremblant à ton saint nom, ô Phébus, dans ton redoutable sanctuaire. Alors le prêtre du dieu laisse tomber de sa bouche inspirée cet oracle : "Fils de Vénus, oui, c’est sous les plus grands des auspices (ils éclatent à ma vue) que tu cours à travers les mers : ainsi le souverain des dieux dispose du destin des mortels, et en déroule les vicissitudes ; ainsi tout se succède dans un ordre éternel. J’aurais à te révéler beaucoup de choses qui rendraient plus sûres pour toi et plus hospitalières les mers que tu vas parcourir, les ports de l’Ausonie où tu vas t’arrêter ; mais je te dirai les moins secrets de ces mystères : les Parques empêchent (3, 380) Hélénus de savoir le reste, et la fille de Saturne lui défend de parler. Et d’abord cette Italie que tu crois voisine de nos rivages, ces ports où, dans ton ignorance, tu te prépares déjà à entrer à pleines voiles, sont séparés de toi par d’infinis espaces, par de longues et infranchissables routes. Il faudra que ta rame se courbe sous les flots trinacriens, que tes vaisseaux fendent les ondes salées de la mer ausonienne, que tu visites les lacs de l’enfer et les infidèles bords de l’île de Circé, avant que tu puisses fonder ta nouvelle cité dans une terre tranquille. Je te dirai les signes qui te guideront : toi, grave-les dès à présent dans ta mémoire. Un jour que, triste et solitaire, tu chemineras le long d’un fleuve, (3, 390) une laie se présentera à ta vue sous les chênes de la rive : blanche, étendue sur l’arêne, tu la trouveras nourrissant trente enfants d’une égale blancheur, et les ramassant autour de ses mamelles. Là sera le lieu marqué pour ta ville, là le terme fortuné de tes travaux. Ne redoute point ces tables que tu dois dévorer un jour : les destins dénoueront pour toi cet oracle ambigu, et tu n’invoqueras pas en vain Apollon. Mais fuis ces terres, fuis cette côte de l’Italie voisine de nos rivages, et que baignent les flots de notre mer ! Là toutes les villes sont habitées par les perfides Grecs ; là les Locriens ont jeté les fondements de Narycium, (3, 400) là les champs de Salente sont occupés par les soldats du Lyctien Idoménée ; là le chef mélibéen Philoctète a flanqué de murs l’humble Pétilie. Mais aussitôt que ta flotte portée au delà des mers aura jeté l’ancre sur le rivage, et qu’y dressant des autels tu payeras ton hommage