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dieu qui porte l’arc, la fixant d’une main reconnaissante entre la haute Mycone et Cyare, voulut qu’elle fût immobile et qu’elle bravât les vents. Nous voguons vers ces parages, et l’île reçoit nos vaisseaux lassés dans sa baie sûre et tranquille. Nous prenons terre, et nous saluons pieusement la ville d’Apollon. (3, 80) Anius, roi de ces peuples et grand prêtre de Phébus, le front ceint à la fois du bandeau royal et du laurier sacré, vient à notre rencontre, et reconnaît Anchise, son vieil ami ; nous touchons de nos mains amies sa main hospitalière, et nous entrons dans son palais.

« J’allai adorer Apollon dans son temple, bâti d’un marbre antique : "Dieu de Thymbrée, m’écriai-je, donne à mon peuple errant et fatigué une demeure fixe, des murailles, une ville pour s’y établir et s’y perpétuer ; sauve en nous une autre Pergame ; sauve les restes de Troie échappés aux Grecs et à l’impitoyable Achille ! Qui devons-nous suivre, grand dieu ? Où nous ordonnes-tu de porter et de fixer nos pas ? Éclaire-nous par quelque signe, et fais couler ton divin esprit dans les nôtres."

(3, 90) « À peine avais-je prononcé ces mots, que tout parut trembler autour de nous, et le temple, et le laurier du dieu ; le mont s’ébranle au loin, le sanctuaire s’entr’ouvre, et le trépied mugit. Nous nous prosternons, et voici l’oracle qui vient frapper nos oreilles : "Enfants de Dardanus, endurcis aux maux, la terre qui a vu naître vos premiers parents vous recevra dans son sein, joyeuse de vous revoir ; cherchez votre ancienne mère. Là dominera sur toutes les terres la maison d’Énée, et les enfants de ses enfants, et ceux qui naîtront d’eux." Ainsi parle Apollon ; soudain la joie éclate parmi nous en transports tumultueux ; (3, 100) et tous de nous demander quels sont ces murs où Apollon appelle nos destins errants, et nous ordonne de revenir. Alors mon père, déroulant à nos yeux les fastes des temps antiques : "Écoutez, dit-il, ô nobles Troyens, et connaissez vos espérances. Au milieu de la mer est l’île de Crète, où s’élève le mont Ida, berceau du grand Jupiter et de notre race. Là sont de florissants royaumes et cent villes immenses. Ce fut de là, si je me souviens bien de ce qui m’a été raconté, que notre aïeul Teucer vint pour la première fois aborder au promontoire de Rhétée, et choisir un lieu pour y fonder un empire : Ilion et la citadelle (3, 110) de Pergame n’étaient pas encore debout ; les peuples habitaient le fond des vallées. C’est de Crète que nous vinrent et Cybèle et son culte, et l’airain frémissant des Corybantes, et la religion qui a consacré le bois de l’Ida, et le sévère silence des mystères de la déesse, et ces lions subjugués qui traînent son char. Courage donc, et suivons la route que nous tracent les dieux. Apaisons les vents, et cinglons vers les royaumes de Gnose : la distance qui nous en sépare n’est pas longue ; que Jupiter seulement nous soit favorable, et la troisième Aurore verra notre flotte à l’ancre sur le rivage de la Crète." Ayant parlé ainsi, il immola sur les autels les victimes consacrées, un taureau à Neptune ; à toi, bel Apollon, un taureau ; (3, 120) une brebis noire aux Vents orageux, une blanche aux heureux Zéphyrs.

« Cependant le bruit court qu’Idoménée, chassé du royaume de ses pères, a fui ; que les rivages de la Crète sont abandonnés des Grecs, que le pays est vide d’ennemis, et que des demeures toutes prêtes nous y attendent. Nous quittons le