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ritons par notre piété, ne cessez pas de nous secourir, et confirmez ces heureux présages."

« À peine le vieillard achevait-il sa prière, qu’un éclat soudain du tonnerre se fit entendre vers la gauche, et qu’une étoile, glissant des cieux au milieu des ténèbres, courut à travers l’espace avec une longue traînée de lumière ; nous vîmes l’astre, un moment suspendu sur le faîte de notre demeure, l’éclairer de ses feux, et se perdre, en traçant sa route brillante, dans les forêts de l’Ida : alors un long sillon de flamme nous illumina, et les lieux d’alentour fumèrent d’une odeur de soufre. Vaincu par ces signes éclatants, mon père se lève, (2, 700) invoque les dieux et adore l’étoile sacrée. « Allons, dit-il, et plus de retard ; je vous suis, dieux de ma patrie, et vais où vous me conduisez ; conservez ma famille, conservez mon petit-fils. Ces présages viennent de vous ; où sera votre puissance, là seront les restes de Troie. Je cède, ô mon fils, et je ne refuse plus de t’accompagner."

« Il dit, et déjà nous entendions de plus près pétiller les flammes ; déjà l’incendie plus éclatant roulait vers nous ses tourbillons. "Vite, m’écriai-je, vite, ô mon père chéri, placez-vous sur les épaules de votre fils : je vous porterai, et ce fardeau ne me sera point accablant. Quoi qu’il arrive, nos périls seront communs, (2, 710) ou nous nous sauverons ensemble : que mon Ascagne marche à mes côtés ; et vous, Créuse, suivez de loin nos pas. Vous, mes serviteurs, soyez attentifs à ce que je vais vous dire. Au sortir de la ville, vous verrez un ancien temple de Cérès et des autels abandonnés, et près de là un vieux cyprès que la piété de nos pères a conservé durant de nombreuses années. C’est là que nous nous rendrons tous par différents chemins. Vous, mon père, prenez nos vases saints et nos dieux pénates. Moi qui reviens d’un si rude combat, je ne puis les toucher de mes mains encore sanglantes, avant de m’être purifié dans les eaux vives d’un fleuve." (2, 721) En achevant ces mots, je couvre d’un vêtement mes larges épaules et mon cou, et je m’enveloppe d’une peau de lion ; je me courbe, et je reçois mon précieux fardeau. Iule s’attache à ma main, et suit son père à pas inégaux. Créuse marche derrière nous ; nous traversons des lieux pleins d’une sombre horreur ; et moi qui tout à l’heure affrontais sans pâlir les traits des Grecs et leurs bataillons rassemblés, maintenant tous les bruits me font peur, un souffle m’épouvante ; je respire à peine : je tremble et pour mon fardeau et pour ceux qui me suivent.

(2, 730) « Déjà nous approchions des portes, et il me semblait que j’avais échappé à tous les passages périlleux, quand tout à coup je crois entendre un bruit de pas qui se précipitent ; mon père regarde dans l’ombre, et me crie : "Fuis, mon fils, fuis ; les ennemis approchent ; je vois reluire des boucliers et briller des casques." En ce moment je ne sais quelle divinité ennemie troubla mes esprits et m’en ravit l’usage. Tandis que je cours éperdu à travers des sentiers détournés, et que je m’écarte des chemins battus, ma chère Créuse, hélas ! est ce le destin qui me l’enleva ? S’était-