Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/271

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rallume mon courage : je cours sauver le palais de mon roi, soutenir ses derniers défenseurs, rendre quelque peu de force aux vaincus.

« Derrière le palais de Priam était une porte, issue secrète qui réunissait entre elles par un commun passage les longues galeries de la demeure de nos rois : c’était par là que l’infortunée Andromaque, dans le temps de nos grandeurs, avait coutume de se rendre sans escorte vers ses vieux parents, et menait à son aïeul son cher Astyanax. Je m’élance par cette porte jusqu’au faîte du palais, d’où les malheureux Troyens lançaient des traits impuissants. (2, 460) Là s’élevait comme suspendue au comble, et perdant son sommet dans les nues, une tour, d’où l’on voyait Troie entière, et le camp des assiégeants, et les mille vaisseaux des Grecs : avec des leviers de fer nous sapons aux endroits mal unis et déjà chancelants les derniers étages de l’immense édifice ; nous l’ébranlons jusqu’en ses fondements, et tout à coup le poussons : la tour s’écroule avec fracas, et va tomber au loin sur les bataillons grecs ; mais d’autres prennent leur place, et sur eux pleuvent incessamment et des pierres et toute sorte de traits.

« Devant le vestibule, et sur le seuil même du palais, Pyrrhus (2, 470) bondit, tout resplendissant de l’éclat qui jaillit de ses armes d’airain. Tel reparaît à la lumière un serpent que les brumes glaciales cachaient sous terre, repu d’herbes vénéneuses et gonflé de poisons : aujourd’hui, revêtu d’une peau nouvelle et rayonnant de jeunesse, le cou dressé et roulant sa croupe luisante, il s’étale au soleil, et darde un triple aiguillon. Avec Pyrrhus entrent dans le palais le grand Périphas, Automédon qui portait jadis les armes et guidait les coursiers d’Achille, et toute la bouillante jeunesse de Scyros : ils lancent des feux jusque sur les toits. À leur tête Pyrrhus, saisissant une hache à deux tranchants, (2, 480) brise les portes d’airain, ébranle leurs gonds, fend leurs ais solides, et, creusant le chêne dans sa vaste épaisseur, y fait une large ouverture. Alors apparaît l’intérieur du palais, et se découvrent ses longues galeries ; alors l’œil plonge dans la demeure de Priam et dans l’antique foyer de nos rois. Des soldats postés sur le seuil le défendent encore. Mais au dedans tout n’est que gémissements, trouble et effroi lamentable ; et des hurlements de femmes retentissent dans les profondeurs les plus reculées de l’édifice ; leurs clameurs vont frapper les astres. Alors les mères tremblantes errent dans la vaste enceinte ; (2, 490) elles embrassent les portes, et y collent une dernière fois leurs lèvres. Pyrrhus (c’est Achille, c’est son ardeur) presse l’assaut : ni barrières, ni gardes, ne peuvent lui résister ; la porte chancelle sous les coups redoublés du bélier, et tombe arrachée de ses gonds. Le fer s’ouvre un chemin ; les passages sont forcés ; les Grecs pénètrent, et massacrent les premiers qu’ils rencontrent : tout le palais se remplit de soldats. Avec moins de fureur un fleuve écumant, qui a rompu ses digues, et vaincu par l’effort de ses eaux amoncelées les masses qu’on leur opposait, déborde et s’emporte dans la plaine, entraînant