Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/264

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immolant une vierge que vous avez apaisé les vents, lorsque vous êtes venus pour la première fois sur les rivages d’Ilion : c’est encore par du sang que vous achèterez le retour ; sacrifiez un Grec ! À peine la fatale sentence eut-elle frappé les oreilles de la multitude, (2, 120) que tous les esprits en furent consternés, et que la terreur glaça le sang dans nos veines. Qui les destins ont-ils marqué ? qui sera la victime que demande Apollon ? Soudain Ulysse paraît, traînant à grand bruit Calchas au milieu de l’assemblée des Grecs, et le presse de nommer la victime des dieux. Plusieurs m’annonçaient déjà le cruel artifice de mon ennemi, et pressentaient mon triste sort. Durant cinq jours Calchas se tut, et par une feinte pitié refusa de prononcer le nom du malheureux qu’Apollon dévouait à la mort. Forcé enfin par les clameurs d’Ulysse, et de concert avec lui, il rompt le silence, et c’est moi qu’il destine aux autels. (2, 130) Tous applaudirent ; et le coup qu’il redoutait pour soi, chacun le vit avec plaisir tomber sur la tête misérable d’un seul.

« Le jour fatal était arrivé ; déjà se préparaient pour moi le sacrifice et les gâteaux salés ; déjà les bandelettes ceignaient mes tempes. Je vous l’avouerai : je me dérobai à la mort ; je rompis mes liens, et j’allai, protégé par l’ombre de la nuit, me cacher dans les joncs d’un marais fangeux, en attendant que les Grecs missent à la voile, s’ils s’y étaient résolus. Hélas ! plus d’espérance pour moi de revoir le pays de mes aïeux, ni mes chers enfants, ni le plus aimé des pères ! Et peut-être les Grecs vengeront-ils ma (2, 140) fuite sur ces malheureux, et répandront leur sang innocent pour expier ma faute. Au nom des dieux, grand roi, de ces dieux qui savent que je dis vrai, au nom de la justice, si le cœur des mortels en garde encore quelques purs vestiges, ayez pitié de mes maux affreux ; ayez pitié d’un homme qu’un sort inique accable. »

« Touchés de ses larmes, attendris par tant d’infortunes, nous lui accordons la vie. Priam lui-même ordonne le premier qu’on lui ôte ses liens, et qu’on dégage ses mains enchaînées ; et il lui adresse ces paroles amies : "Qui que tu sois, oublie désormais les Grecs, perdus pour toi : tu seras un des nôtres ; mais dis-moi la vérité sur ce que je vais te demander. (2, 150) Pourquoi les Grecs ont-ils construit la masse prodigieuse de ce cheval ? quel en est l’inventeur ? que prétendent-ils ? Est-ce un vœu ? est-ce une machine de guerre ?" Il dit. Alors Sinon, consommé dans la ruse et l’art menteur des Grecs, lève au ciel ses mains délivrées de leurs chaînes, et s’écrie : "Feux éternels des cieux, divinités inviolables, et vous saints autels, funestes couteaux que j’ai fuis, bandelettes saintes qui pariez ma tête sous la hache, qu’il me soit permis de rompre le lien sacré de la patrie grecque, de haïr des concitoyens ennemis, et de révéler tous leurs secrets à la face des cieux : mon pays m’a dégagé de ma foi. (2, 160) Mais vous, grand roi, tenez votre promesse, et que Troie sauvée par moi me garde sa parole si je dis vrai, si je paye vos bienfaits du plus grand des services.