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vrantes de Bacchus, t’attirera sur son sein, et, te serrant entre ses bras, imprimera de doux baisers sur ton front, souffle un feu secret dans ses veines, et fais couler un doux poison dans son cœur abusé. »

L’Amour obéit à la voix de sa mère chérie ; (1, 690) il se dépouille de ses ailes, et, s’applaudissant, marche du pas d’Iule. Cependant Vénus verse dans les membres d’Ascagne un paisible sommeil, l’enlève endormi sur son sein, et le porte sur les hauteurs d’Idalie, dans ces bois sacrés où la douce marjolaine le couvre de ses fleurs, et, le caressant de son haleine embaumée, l’environne de suaves ombrages.

Déjà Cupidon, docile aux leçons maternelles, marchait heureux d’être conduit par Achate, et portait aux Tyriens les présents royaux offerts par Énée. Lorsqu’il arriva dans le palais, la belle Didon prenait place sous un dais magnifique, et, appuyée sur des coussins dorés, s’y reposait majestueusement. Déjà Énée et ses Troyens (1, 700) se sont rassemblés ; tous se couchent sur des lits de pourpre. Des serviteurs empressés versent l’eau sur les mains des convives, et déploient les plus fins tissus de la laine ; les dons de Cérès sont tirés des corbeilles. Au dedans du palais, cinquante femmes surveillent l’immense ordonnance du festin, et font brûler des parfums en l’honneur des dieux pénates. Cent jeunes filles et autant de jeunes garçons chargent les tables de mets, et placent les coupes. Les Tyriens aussi se rassemblent en foule sous les joyeux portiques du palais : conviés par la reine, ils se répandent autour des tables sur les lits aux mille couleurs. On admire les présents d’Énée ; on admire le faux Ascagne, (1, 710) ses yeux où pétille un feu divin, et la douceur feinte de ses paroles. Didon surtout, la malheureuse Didon, dévouée au mal qui va la dévorer, ne peut assez repaître ses yeux et son cœur de la vue de l’enfant et des présents, et s’enflamme à les regarder tour à tour. Après que l’enfant se fut suspendu au cou d’Énée et à ses baisers, et qu’il eut rassasié l’immense tendresse d’un père qu’abusait l’image d’Iule, il va vers la reine. Celle-ci attache sur lui ses regards et son âme enchantée ; de temps en temps elle le presse sur son sein, et ne sait pas, la malheureuse, quel dieu redoutable se joue entre ses bras. Mais lui, qui n’a pas oublié (1, 720) de quelle mère il est fils, efface peu à peu de cette âme fidèle l’image de Sichée, et s’essaye à réchauffer par une vive flamme ce cœur dès longtemps refroidi, et désaccoutumé de l’amour.

Le repas achevé et les tables enlevées, on apporte les vastes cratères, et le vin en couronne les bords écumeux. Alors les bruits joyeux redoublent, et les cris roulent en longs éclats sous les lambris des vastes galeries : de leurs plafonds dorés pendent des candélabres enflammés, et les feux qu’ils jettent au loin triomphent de la nuit. La reine demande une coupe chargée d’or et de pierreries, et la remplit de vin : Bélus et tous (1, 730) ses descendants avaient coutume de la vider en l’honneur des dieux. On se tait ; alors la reine : « Grand Jupiter, toi qui protèges la sainte hospitalité, fais que ce jour soit également heureux pour les Tyriens et pour les exilés de Troie, et que nos derniers neveux en conservent la