Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/253

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allez voir de hautes murailles qui déjà s’élèvent, et la citadelle de la nouvelle Tyr, de Carthage. Ils achetèrent autant d’espace que peut en embrasser la peau d’un taureau : de là le nom de Byrsa qu’ils donnèrent à la citadelle. Mais vous, ô étrangers, qui êtes-vous ? de quels bords venez-vous ? (1, 370) où dirigez-vous votre course ? » Elle dit, et le héros, tirant de sa poitrine un profond soupir, lui répond par ces mots :

« Ô déesse, si, rappelant les années écoulées, je vous racontais nos malheurs dès leur origine, et si vous aviez le loisir d’en écouter la déplorable histoire, Vesper ensevelirait le jour dans les ténèbres de l’Olympe assoupi. Échappés de l’antique Troie (peut-être ce nom fameux est-il venu jusqu’à vos oreilles), et portés de mers en mers, un caprice imprévu de la tempête nous a jetés sur les côtes de la Libye. Je suis Énée, ce mortel pieux qui emporte avec lui sur ses vaisseaux ses dieux pénates, arrachés aux mains des ennemis ; Énée, dont le nom a volé jusqu’aux astres. (1, 380) Je vais chercher une patrie en Italie ; là aussi j’eus des ancêtres issus du grand Jupiter. Je me suis embarqué sur la mer de Phrygie avec vingt vaisseaux : la déesse ma mère me montrait la route ; je suivais les destins qui m’étaient marqués. De mes navires sept à peine, écrasés par les vagues et par les vents, me restent de ma flotte entière. Moi-même, inconnu, misérable, je parcours les déserts de la Libye, chassé de l’Europe et de l’Asie. » Vénus ne le laissa pas poursuivre son déplorable récit, et l’interrompit ainsi au milieu de sa douleur :

« Non, qui que vous soyez, je ne crois pas que, haï des dieux, vous goûtiez la lumière du ciel, vous qui êtes arrivé près de la cité tyrienne. Poursuivez votre route, et portez vos pas jusqu’au palais de la reine. (1, 390) Vos compagnons vous sont rendus, votre flotte vous est ramenée, et le souffle changé des vents l’a poussée dans de sûrs parages : c’est moi qui vous l’annonce, à moins que mes parents ne m’aient trompée en m’apprenant l’art menteur des augures. Voyez voler en troupe et s’ébattre joyeux dans les airs ces douze cygnes : tout à l’heure l’oiseau de Jupiter, fondant sur eux du haut des nues, les dispersait au milieu d’un ciel serein : les voilà maintenant qui s’abattent en longue file, ou qui vont, tête baissée, s’abattre sur la terre. Rassemblés de nouveau, comme ils agitent en se jouant leurs ailes bruyantes, comme ils se déploient en cercle, comme ils chantent dans l’azur des cieux ! Ainsi vos navires dispersés et vos compagnons (1, 400) ou sont entrés dans le port, ou y voguent à pleines voiles. Allez donc, et dirigez vos pas jusqu’où vous mène cette route. »

Elle dit, et, détournant sa face de rose, elle parut éblouissante ; ses cheveux divins exhalèrent une odeur d’ambroisie ; sa robe tomba en plis flottants jusqu’à ses pieds : elle marcha, et son port trahit une déesse. Enée reconnaît sa mère : et, tandis qu’elle fuit, il la poursuit de ces paroles : « Pourquoi, mère cruelle, vous aussi, tromper tant de fois votre fils par de vaines images ? Pourquoi ne m’est-il pas permis de toucher votre main de la mienne, d’entendre votre voix et d’y répondre ? » (1, 410) En exhalant ces