Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/239

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fleurs nouvelles, avant que la babillarde hirondelle ne suspende son nid aux poutres de nos demeures. Cependant les humeurs échauffées fermentent dans les tendres os de l’animal : ô prodige ! on y voit fourmiller mille et mille insectes informes, (4, 310) d’abord sans pattes, bientôt avec des ailes bruyantes : l’essaim grossit, s’élève et gagne les airs, jusqu’à ce qu’il s’y élance aussi pressé que les gouttes qui s’épanchent d’un nuage d’été, aussi rapide que les flèches poussées par l’arc, quand les Parthes légers à la course engagent les premiers la mêlée. Ô Muses, quel dieu découvrit aux mortels ce secret admirable ? Dites-nous les commencements de cette nouvelle expérience.

Le berger Aristée ayant, dit-on, perdu toutes ses abeilles par la maladie et par la famine, abandonna Tempé qu’arrose le Pénée ; et, s’arrêtant à la source sacrée du fleuve, il adressa triste et éploré (4, 320) ces paroles à sa mère : « Ô Cyrène, ô ma mère, vous qui habitez au fond de ces eaux, s’il est vrai, comme vous me l’avez dit, qu’Apollon de Thymbra est mon père, que me sert que vous m'ayez formé du noble sang des dieux, si les destins me sont ennemis ? Qu’est devenu ce tendre amour que vous aviez pour moi ? Pourquoi m’avoir fait espérer de voir un jour l’Olympe ? Voila que le seul bien où je mettais quelque honneur dans cette vie mortelle, ce prix de tant d’efforts, de tant de soins donnés à mes champs et à mes troupeaux, je le perds aujourd’hui ; et vous êtes ma mère ! Achevez donc, et de vos mains arrachez ces forêts que j’ai vues grandir ; (4, 330) portez la flamme et le ravage dans mes bergeries, détruisez mes moissons, brûlez mes semences, abattez mes vignes avec la cognée, puisque vous avez tant en dégoût la gloire de votre fils. »

Cyrène, du fond de sa couche humide, entendit la voix de son fils. Près d’elle ses nymphes filaient les toisons de Milet, aux teintes verdoyantes : c’étaient Drymo, Xantho, Ligée, Phyllodoce, dont les beaux cheveux tombaient épais sur leurs blanches épaules ; Nésée, Spio, Thalie, Cymodocé, Cydippe et la blonde Lycorias, l’une encore vierge, (4, 340) l’autre qui pour la première fois avait connu les douleurs de Lucine ; Clio et sa sœur Béroé, toutes deux filles de l’Océan, toutes deux vêtues de peaux bigarrées que retenaient des agrafes d’or ; Éphyre, Opis, Déjopée fille d’Asius, et l’agile Aréthuse qui venait de déposer l’arc et les flèches.

Au milieu d’elles Clymène redisait les vaines alertes de Vulcain jaloux, les ruses de Mars et ses doux larcins, et contait dès le chaos les innombrables amours des dieux. Pendant que, charmées de ces récits, les nymphes déroulent le doux lin de leurs fuseaux, les plaintes d’Aristée vinrent pour la seconde fois frapper les oreilles de sa mère. (4, 350) Toutes les nymphes émues en tressaillirent sur leurs sièges de cristal : mais Aréthuse la première se lève, et, pour regarder, montre sa blonde tête au-dessus des eaux ; et de loin elle s’écrie : « Ô Cyrène, ma sœur, ce n’est pas en vain que vous vous êtes effrayée de si grands cris : Aristée lui-même, votre cher Aristée, est là triste et pleurant à la source du Pénée votre père,