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ges du ciel : tantôt elles reçoivent les fardeaux de celles qui arrivent ; tantôt, se formant en bataillon serré, elles écartent des ruches la bande paresseuse des frelons. On s’empresse, on s’échauffe : l’air est embaumé des odeurs du miel et du thym. (4, 170) Ainsi les Cyclopes se hâtent de forger, avec des masses de fer qu’amollit la flamme, les foudres de Jupiter : les uns reçoivent tour à tour et déchaînent les vents, emprisonnés dans la peau des taureaux ; les autres plongent dans l’eau l’airain frémissant ; l’Etna gémit sous les enclumes qui l’ébranlent : ceux-là lèvent avec effort et laissent retomber en cadence leurs bras sur le fer que saisit et retourne la tenaille. Telles (s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes) les abeilles de Cécrops sont poussées par une ardeur innée d’acquérir ; telles on les voit se distribuant des postes divers : les plus âgées président à l’intérieur des villes ; elles les flanquent de remparts ; merveilleuses ouvrières, elles donnent la façon aux édifices. (4, 180) Les jeunes, fatiguées de leurs courses, ne reviennent que le soir, les pattes chargées de thym ; elles ont moissonné çà et là les arboisiers, les saules verdâtres, la case, le safran vermeil, la feuille onctueuse du tilleul, la ferrugineuse hyacinthe. Toutes dans le même temps cessent et recommencent leurs travaux. Dès le matin elles s’élancent hors de la ruche, promptes comme l’Aurore ; lorsqu’enfin l’étoile du soir les avertit de quitter les champs et de revenir de la pâture, elles regagnent leurs demeures, elles se préparent au repos. Un grand tumulte se fait entendre : toutes bourdonnent aux portes des ruches et alentour. Après qu’elles se sont arrangées chacune dans leurs couches, elles se taisent, (4, 190) et s’abandonnent pour toute la nuit au sommeil qui les délasse. Quand la pluie menace, elles ne s’éloignent pas de leurs demeures ; quand elles sentent les approches de l’Eurus, elles ne se fient pas même à un ciel serein : à l’abri des murailles de la cité tranquille, elles iront se désaltérer tout près de là, ou ne tenteront que de petites excursions. Souvent dans leur vol elles se chargent de grains de sable, et, pareilles à la barque mobile que son lest maintient sur les flots agités, elles se balancent sans péril dans le vide des airs. Une chose qui tient du prodige dans les abeilles est qu’elles se perpétuent sans s’unir, sans s’énerver par les douceurs languissantes de Vénus, sans enfanter avec effort : (4, 200) elles-mêmes vont recueillir sous la feuille des fleurs, et dans les herbes suaves, des germes tout éclos ; elles se donnent ainsi un nouveau roi, et repeuplent son royaume de petits citoyens ; elles-mêmes rebâtissent son palais de cire et soutiennent son empire. Dans leurs courses errantes il leur arrive souvent de briser leurs ailes contre les durs rochers, et de mourir à la peine sous le fardeau qu’elles portent ; tant elles aiment les fleurs, tant elles mettent de gloire à produire le miel !

Ainsi, quoique la vie se termine bientôt pour elles (elle ne va guère au delà de sept ans), leur race est immortelle, et durant une longue suite d’années la fortune de leur empire subsiste et se perpétue de génération en génération. (4, 210) L’Égypte, la vaste Libye, les Parthes, les Mèdes, révèrent moins leurs souverains que les abeilles