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che. Tels sont les symptômes qui paraissent dès les premiers jours et avant la mort. Mais si le mal s’accroît et empire, alors les yeux de l’animal s’enflamment ; son haleine est comme tirée du fond de sa poitrine, et entrecoupée de sourds gémissements ; ses flancs se tendent et palpitent avec de sanglotants efforts : un sang noir coule de ses narines, et sa langue raboteuse presse et assiège son gosier. On tenta, et cela parut réussir, de faire couler au moyen d’une corne quelque peu de vin dans la bouche des chevaux malades ; (3, 510) c’était un dernier remède essayé sur les moribonds, mais bientôt il leur devenait funeste ; leurs forces un moment ranimées tournaient à la fureur ; et, dans les dernières convulsions de la mort (grands dieux, préservez les hommes pieux de ces transports, et renvoyez-les à nos ennemis !), les malheureux animaux s’en prenaient à leurs propres membres, et les déchiraient à belles dents.

Mais voici que, fumant sous le joug, le taureau tombe, et vomit un sang mêlé d’écume ; il pousse un dernier gémissement : le triste laboureur détache de l’attelage l’autre taureau, affligé de la mort de son frère ; et il s’en va, laissant sa charrue au milieu du sillon commencé. (3, 520) L’ombre des grands bois, la douce verdure des prés, l’onde qui, roulant sur des cailloux, coule plus pure que le cristal à travers la plaine, ne touchent plus le sens éteint des bêtes : leurs flancs sont décharnés ; une langueur stupide pèse sur leurs yeux inertes, et leur tête affaissée tombe à terre de son propre poids. Que leur servent leurs travaux, tout le bien qu’elles nous font ? que leur sert d’avoir tant retourné la glèbe pesante ? Et pourtant ce n’est ni le Massique enivrant, ni les mets exquis de nos tables, qui leur ont causé ces maux : le feuillage des arbres, l’herbe des champs, c’est là toute leur nourriture ; leur breuvage, c’est l’eau transparente des fontaines, et celle que les rivières épurent en la fatiguant ; (3, 530) et jamais les soucis n’ont troublé leur sommeil salutaire.

Ce fut alors, dit-on, qu’on chercha en vain dans ces tristes contrées deux bœufs pareils, pour conduire au temple de Junon le chariot chargé d’offrandes, et qu’on ne put trouver que deux buffles inégaux. On vit donc les hommes réduits à creuser péniblement la terre avec le hoyau, à y enfouir la semence avec leurs ongles, et, le cou tendu sous le joug, à traîner jusqu’au haut des montagnes les chariots gémissants. Le loup ne va plus épier de nuit les bergeries et rôder autour des troupeaux ; un mal plus fort que la faim le dompte : les daims timides, les cerfs fugitifs (3, 540) errent au milieu des chiens et près des chaumières.

Déjà les monstres de la mer immense et tout ce qu’elle nourrit dans ses abîmes est rejeté par les flots, et, comme des corps naufragés, échoue sur les rivages : les phoques chassés de leurs eaux fuient dans les fleuves qui ne les avaient jamais vus. La vipère elle-même, mal défendue par ses cavités ténébreuses, périt : l’hydre étonnée meurt en dressant ses écailles. L’air n’est plus salubre même pour les oiseaux : atteints jusque dans la