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expédient et le plus prompt dans ces calamités, c’est de couper avec le fer la tête même de l’abcès : plus le mal est caché, plus il s’entretient et s’envenime ; surtout si le berger néglige de porter sur la plaie des mains cruellement secourables, et s’il ne sait, dans sa piété stérile, qu’implorer l’assistance des dieux. On fait mieux : quand la douleur, se glissant jusque dans les os de tes brebis bêlantes, y devient furieuse, et que la fièvre dessèche et ronge leurs membres, on en détourne les feux pour les éteindre ; et (3, 460) la veine du pied pousse un jet sanglant sous le fer qui la frappe. C’est la coutume des Bisaltes et des Gelons, peuples qui toujours fuient à travers les déserts gétiques et sur le mont Rhodope, et qui boivent du lait rougi du sang de leurs chevaux.

Vois-tu quelqu’une de tes brebis se retirer souvent sous les doux ombrages, brouter nonchalamment la pointe des herbes, aller toujours la dernière, ou bien tomber languissante au milieu des pâturages, et la nuit revenir au bercail seule et attardée : coupe à l’instant le mal à la racine, avant que l’horrible contagion ne se répande insensiblement sur tout le troupeau. (3, 470) Les tempêtes qui fondent sur la mer et la bouleversent ne sont pas plus fréquentes que les fléaux divers qui assaillent les animaux : encore les maladies ne les prennent pas un à un, mais elles envahissent des pacages entiers, et ruinent tout, pères, mères, enfants, tout, jusqu’aux dernières espérances des bergers. Allez plutôt voir les Alpes Juliennes, les bourgs fortifiés de la Noricie, et les champs japydiens arrosés par le Timave, cet empire des pasteurs depuis si longtemps déserté, et ces bois, devenus aujourd’hui d’immenses et profondes solitudes.

Là, sous l’influence pestilentielle de l’air éclata jadis une affreuse contagion, que l’automne vint embraser de ses feux excessifs. (3, 480) Tout périt, les troupeaux, l’espèce entière des bêtes sauvages ; la maladie empoisonna les eaux, infecta les pâturages. Les animaux ne mouraient pas d’une mort ordinaire : d’abord une soif ardente, leur courant de veine en veine, retirait leurs membres appauvris ; bientôt s’y épanchait une acre liqueur, qui absorbait peu à peu les os minés et ramollis. Souvent la victime amenée devant les autels des dieux, et déjà ceinte des bandelettes et des guirlandes sacrées, tombait mourante entre les mains des sacrificateurs, trop lents à la frapper : ou si le prêtre avait pu l’égorger à temps, (3, 490) la flamme des autels ne prenait pas à ses fibres corrompues, et le devin interrogé n’en pouvait tirer de présages : à peine si les couteaux se teignaient de sang ; quelques gouttes seulement d’une liqueur livide souillaient l’arène. Les jeunes taureaux meurent partout dans les riants pâturages, et viennent rendre le doux souffle de la vie sur leur crèche pleine d’herbes. Le chien si caressant est pris de la rage ; une toux haletante secoue les flancs du porc exténué, et fait râler sa gorge obstruée. Il tombe aussi le fier coursier, vaincu et misérable, oubliant ses nobles goûts et l’herbe des prairies ; il se détourne des fontaines ; il frappe à tout moment (3, 500) la terre de son pied ; il baisse les oreilles ; une sueur intermittente coule de ses membres et devient froide, quand il va mourir : sa peau sèche et dure résiste à la main qui la tou-