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mier joug, attelles-y deux taureaux de même grandeur, et force-les à marcher ensemble d'un pas égal. (3, 170) Déjà même tu peux leur faire traîner un chariot vide ; qu'ils l'emportent, et que leurs pas soient à peine marqués sur la poussière. Bientôt qu'un essieu de frêne et sa charge pesante fassent crier les roues, et qu'un timon d'airain soit porté par ton couple plus robuste. Cependant, pour nourrir tes taureaux encore indomptés, ne leur donne pas seulement du menu fourrage, des feuilles de saule, des herbes de marais ; mais cueille encore pour eux la tige du blé vert. Et quand tes vaches sont devenues mères, ne va pas, comme faisaient nos pères, remplir tes vases de leur lait ruisselant ; laisse-les plutôt épuiser leurs mamelles pour leurs tendres enfants.

Mais si tu aimes mieux élever des chevaux pour la guerre et pour les fières manœuvres des batailles, (3, 180) ou bien pour faire glisser à Pise la roue légère le long des rives de l'Alphée, et pour emporter un char dans la forêt sacrée de Jupiter, accoutume d'abord ton élève à voir les combats et les cœurs courageux, à supporter le son des clairons, les roulements du char qui gémit, à entendre le cliquetis du frein dans l'étable : qu'il aime de plus en plus à se sentir flatter par son maître ; qu'il frémisse au doux retentissement de la main qui le touche. Je veux qu'à peine séparé de la mamelle de sa mère il ait l'oreille à tes leçons, et qu'à son tour il vienne de lui-même offrir sa bouche à la bride, tout faible qu'il est, tout tremblant et sans expérience. Mais après trois ans, et quand il en aura bientôt quatre, (3, 190) qu'il commence à tourner en rond, à retomber en mesure sur ses pieds retentissants, à jeter en avant ses jambes tour à tour mêlées et démêlées ; qu'il ait l'air de travailler sous ta main : puis, qu'il t'échappe et provoque les vents à la course, et que, s'emportant à l'aise dans la plaine et comme libre du frein, il touche à peine la terre de ses pieds ailés ; pareil à l'aquilon qui ramassant son souffle fond des régions hyperboréennes, et disperse au loin les frimas de Scythie et les nuages secs de l'hiver : alors les hautes moissons, courbées par son haleine, frémissent doucement dans les plaines ondoyantes : les forêts sur les monts rendent des sons immenses, et les flots venant de loin sont poussés vers les rivages. (3, 201) Cependant l'aquilon vole, balayant dans sa course et les champs et les mers.

Ainsi dressé, ton cheval ira un jour tourner la borne d'Olympie, et franchira tout en sueur la vaste carrière ; tu l'y verras, le mors aux dents, l'ensanglanter de son écume : ou mieux encore, pliant le cou sous le timon d'un char belge, il l'emportera au travers des batailles. Au reste, ce n'est qu'après avoir dompté l'animal que tu laisseras ce grand corps s'accroître par une forte nourriture : car avant ce temps-là son trop de feu le ferait se cabrer ; et, quoique sous ta main, il ne supporterait pas le fouet, et refuserait d'obéir au fer déchirant du frein.

(3, 209) Mais il n'est pas de plus sûr moyen d'entretenir la vigueur soit des chevaux, si tu les aimes mieux, soit des taureaux, que d'écarter d'eux Vénus et les aiguillons de l'aveugle amour. C'est pourquoi on relègue les taureaux bien loin, dans des pâtis solitaires, derrière une montagne ou une large rivière qui les sépare du troupeau ; ou