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graisser avec l'orge la meilleure le taureau que tu veux donner pour chef et pour père au troupeau. Alors on coupe pour lui les herbes les plus tendres ; on lui apporte des eaux pures et force farine, de peur que, mal nourri, il ne succombe aux doux travaux de Vénus, et que ses enfants débiles ne se ressentent du jeûne de leur père. Au contraire, on fait tout pour amaigrir et exténuer les mères ; (3, 130) et sitôt que les voluptueux désirs les sollicitent aux premières amours, on leur retranche le feuillage, on les éloigne des fontaines. Souvent même on les fatigue, on les rompt par des courses en plein soleil, alors que le grain battu dans l'aire gémit sous les fléaux pesants, et que les pailles vides voltigent, emportées par le vent qui se lève. On traite ainsi les mères, de peur que le trop d'embonpoint n'obstrue le champ fécond des amours, et n'en oblitère les secrets passages ; et afin qu'ayant soif de Vénus, elles l'absorbent tout entière, et en pénètrent leurs flancs avides.

Après les soins que tu dois aux pères viennent ceux que réclament les mères, alors que, les mois de leur portée révolus, elles n'ont plus qu'à errer chargées de leur fruit. (3, 140) Qu'on se garde bien alors de leur faire traîner de lourds chariots ; qu'on les empêche de franchir les chemins en sautant, ou de s'emporter en fuyant dans les prés, ou de traverser à la nage les fleuves aux courants impétueux. Mais qu'elles paissent dans des lieux solitaires, le long des rivières coulant à pleins bords, là où la mousse, le gazon des vertes rives et les grottes leur prêteront de frais abris, et les rochers leur ombre penchante.

Il y a dans les bois du mont Silare et dans les verdoyantes forêts d'yeuses de l'Alburne, un insecte que les Latins nomment asilus, et les Grecs œstron, en traduisant notre mot. (3, 149) L'essaim redoutable de ces mouches frappe l'air de ses secs bourdonnements ; les troupeaux épouvantés fuient çà et là dans les bois : alors tout retentit de furieux mugissements ; l'air en est ébranlé, et les forêts et les rives desséchées du Tanagre. C'est ce cruel insecte qui servit autrefois les terribles colères de Junon, quand elle le déchaîna pour perdre la fille errante d'Inachus. Surtout ne manque pas de l'écarter de tes vaches pleines ; c'est au fort des chaleurs qu'il est le plus ardent : fais donc paître tes troupeaux, le matin au lever du soleil, et le soir quand les étoiles ramènent la nuit.

Quand les vaches ont mis bas, c'est le moment de reporter tous tes soins sur les veaux. D'abord on les marque à vif d'un signe qui fasse reconnaître leur race, et ceux qu'on destine à repeupler le troupeau, (3, 160) et ceux qu'on réserve pour les autels des dieux, et ceux qui doivent t'aider à fendre la terre, et à retourner en les brisant les glèbes qui hérissent la plaine : le reste n'a qu'à paître au hasard dans la verte prairie.

Ceux de tes jeunes taureaux que tu voudras discipliner pour le labour et les travaux de la campagne, commence à les exciter de bonne heure ; applique-toi à les dompter, tandis qu'ils ont encore le naturel docile, et que leur âge se laisse manier. D'abord attache à leur cou un collier flottant, d'un osier léger ; quand ils auront accoutumé leur tête libre encore à ce pre-