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pose sur ses jarrets pliants ! Le premier il ose aller en avant, tenter le passage d'une onde menaçante, se risquer sur un pont inconnu : aucun bruit ne l'épouvante. Il a l'encolure haute, (3, 80) la tête effilée, peu de ventre, la croupe rebondie ; et son poitrail, plein de vie, laisse voir ses muscles ramassés. On estime les bai brun et les gris pommelé ; les plus communs sont les blancs et les alezan clair. Un bruit d'armes a-t-il retenti au loin, l'animal ne sait plus se tenir en place ; il dresse les oreilles ; tout son corps tremble ; il roule dans ses naseaux les feux comprimés de sa poitrine. Sa crinière est épaisse, et retombe épanchée sur son épaule droite : il a comme une double épine qui se remue sur son dos ; il creuse la terre, et la fait retentir sous la corne pesante de son pied. Tel fut Cyllare dompté par la main de Pollux d'Amiclée, (3, 90) Cyllare que chantèrent les poëtes grecs ; tels les deux coursiers de Mars, et ceux qu'attela le grand Achille. Aussi vite s'échappa, en secouant dans l'air sa crinière empruntée, Saturne lui-même, surpris par son épouse ; aussi vite il remplit les sommets du Pélion de ses hennissements aigus.

Mais quand l'étalon appesanti par la maladie ou devenu paresseux par l'effet des ans, manque à sa tâche, tiens-le loin du haras : point de pitié pour sa vieillesse impuissante. Il est de glace dans les travaux de Vénus, et ne s'y porte plus que d'un effort stérile : s'il en vient quelquefois à ces rudes combats, pareil en son ardeur malheureuse à un grand feu de paille, (3, 100) il se démène en vain. Assure-toi donc avant tout et de l'âge, et du cœur, et de la race de ton coursier, et de ses autres qualités ; vois s'il est sensible à la honte d'être vaincu, à l'honneur de remporter la palme. Ne vois-tu pas dans la course comme les chars précipités ont envahi l'espace, et tous ensemble se sont répandus hors des barrières ; comme l'espoir de vaincre transporte les jeunes cœurs, comme la peur d'être vaincus les fait battre, comme ils étouffent dans les transes ? Armés du fouet, les conducteurs pressent l'attelage, et, se penchant sur leurs coursiers, ils leur abandonnent les rênes : l'essieu s'allume, le char vole : tantôt ils se baissent, tantôt ils se dressent ; on dirait qu'ils vont s'enlever dans les airs, qu'ils y sont déjà perdus. (3, 110) Point de halte, point de répit ; un nuage de sable a tout enveloppé ; les coursiers vainqueurs sont mouillés de l'écume et de l'humide haleine de ceux qui les suivent. Tant ils aiment la gloire, tant ils ont à cœur de vaincre !

Érichthon le premier inventa les chars ; il osa y atteler quatre chevaux de front, et, porté sur des roues rapides, s'y tenir en vainqueur. Les Lapithes Péléthroniens, montés sur le dos des coursiers, les accoutumèrent au frein et aux évolutions : ils leur apprirent à bondir sous les armes, et à rassembler leurs pas superbes. Les deux exercices du char et de la voltige sont également difficiles ; l'un et l'autre veulent un cheval jeune, ardent, et vif coureur ; (3, 120) sans quoi n'en attends rien, eût-il cent fois poursuivi des ennemis en fuite, vînt-il de l'Épire ou de la généreuse Mycènes, fût-il né du trident même de Neptune.

Ces choses observées, préviens l'époque marquée par la nature, et mets tous tes soins à en-