Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moissons, aussitôt les arbres se couvrent de verts feuillages, et ils grandissent et se courbent sous leurs fruits. C’est là ce qui nourrit les animaux et les hommes ; c’est là ce qui fait éclore dans nos villes une jeunesse florissante, ce qui fait chanter nos bois, peuplés d’oiseaux naissants. Voilà pourquoi des troupeaux gras et fatigués du poids de leurs membres reposent dans les riants pâturages, et que des flots de lait pur (1, 260) s’échappent de leurs mamelles gonflées, tandis que leurs petits encore faibles, et dont ce lait enivre les jeunes têtes, bondissent en jouant sur l’herbe tendre.

Ainsi donc, tout ce qui semble détruit ne l’est pas ; car la nature refait un corps avec les débris d’un autre, et la mort seule lui vient en aide pour donner la vie.

Je t’ai prouvé, Memmius, que les êtres ne peuvent sortir du néant, et qu’ils n’y peuvent retomber ; mais, de peur que tu n’aies pas foi dans mes paroles, parce que les éléments de la matière sont invisibles, (1, 270) je te citerai des corps dont tu seras forcé de reconnaître l’existence, quoiqu’ils échappent à la vue.

D’abord, c’est le vent furieux qui bat les flots de la mer [272], engloutit de vastes navires, et disperse les nuages ; ou qui, parcourant les campagnes en tourbillon rapide, couvre la terre d’arbres immenses, abat les forêts d’un souffle, tourmente la cime des monts, et irrite les ondes frémissantes qui se soulèvent avec un bruit menaçant. Il est clair que les vents sont des corps invisibles, eux qui balayent à la fois la terre, les eaux, les nues, (1, 280) et qui les font tourbillonner dans l’espace.

C’est un fluide qui inonde et ravage la nature, ainsi qu’un fleuve dont les eaux paisibles s’emportent tout à coup et débordent, quand elles sont accrues par ces larges torrents de pluie qui tombent des montagnes, entraînant avec eux les ruines des bois, et des arbres entiers. Les ponts les plus solides ne peuvent soutenir le choc impétueux de l’onde, tant le fleuve, gonflé de ces pluies orageuses, heurte violemment les digues : il les met en pièces avec un horrible fracas ; il roule dans son lit (1, 290) des rochers énormes, et abat tout ce qui lui fait obstacle. C’est ainsi que doivent se précipiter les vents, qui chassent devant eux et brisent sous mille chocs tout ce que leur souffle vient battre comme des flots déchaînés, et qui parfois saisissent comme en un gouffre et emportent les corps dans leurs tourbillons rapides. Je le répète donc, les vents sont des corps invisibles, puisque, dans leurs effets et dans leurs habitudes, on les trouve semblables aux grands fleuves qui sont des corps apparents.

(1, 300) Enfin, ne sentons nous pas les odeurs émanées des corps, quoique nous ne les voyions pas