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frottées d’huile. Ainsi font aujourd’hui nos Latins, fils des exilés de Troie : c’est à qui dans ces jeux bachiques récitera des vers sans art ; les rires éclatent ; on se couvre le visage de masques hideux, faits d’écorces d’arbre ; toute la troupe, ô Bacchus, t’invoque dans ses chants joyeux, et va suspendre en ton honneur, au haut des pins, ces grotesques et mobiles images. (2, 390) Soudain le pampre fécondé donne des fruits à foison ; l’abondance remplit les vallées, les forêts profondes, tous les lieux où le dieu va montrant sa tête vénérée. Célébrons donc les louanges de Bacchus en chantant les vers que chantaient nos pères : offrons-lui des plats chargés de fruits, et des gâteaux ; qu’un bouc soit traîné par la corne vers ses autels ; que le coudrier perce les grasses entrailles des victimes ; que la flamme les rôtisse.

La vigne exige encore une autre sorte de travail où tu n’auras jamais de cesse. Il faut trois et quatre fois par an couper la terre avec la bêche, (2, 400) en briser perpétuellement les mottes avec le hoyau, et toujours soulager la vigne en lui retranchant du feuillage : ainsi le long cercle de tes peines revient sur lui-même, et l’année qui les ramène tourne sans cesse sur ses propres traces.

Quand la vigne s’est enfin dépouillée de ses dernières feuilles, et que le froid aquilon a fait tomber la parure des bois, l’infatigable vigneron étend ses soins jusqu’à l’année qui va venir : armé du fer recourbé de Saturne, il poursuit la vigne dans ses pousses un moment négligées ; il l’émonde, la taille, et la façonne encore. Sois donc le premier à creuser la terre, le premier à brûler les sarments enlevés, le premier à remporter tes échalas dans ta maison. (2, 410) Vendange le dernier. Deux fois dans l’année la vigne est surchargée de pampres, deux fois les herbes épaisses et les ronces l’offusquent. Tailler et sarcler sont un dur travail. Tu peux vanter les grands vignobles ; mais tu feras mieux d’en cultiver un petit. On a soin encore de couper dans les forêts la branche épineuse du houx, et le roseau des fleuves ou le saule inculte. Déjà tes vignes sont liées, et leur bois ne veut plus de la serpe ; j’entends le vigneron épuisé qui chante en façonnant ses derniers plants. Et cependant il faut qu’il tourmente encore la terre, et qu’il remue encore la poussière des champs ; il faut qu’il craigne encore pour ses raisins déjà mûrs l’inclémence des airs.

(2, 420) Les oliviers au contraire ne demandent aucune culture ; ils n’attendent rien ni de la serpe recourbée, ni de la dent tenace des râteaux. Une fois qu’ils ont pris pied dans le sol, et qu’ils ont supporté le grand air, la terre ouverte alentour avec le hoyau leur fournit assez de sucs ; il suffit que la charrue y passe, pour qu’ils se chargent de fruits. Ne fais pas davantage pour nourrir l’olivier fécond, l’olivier cher à la Paix. Les arbres fruitiers aussi, des qu’ils se sentent affermis sur leur tronc, et qu’ils ont pris toute leur force, s’élèvent tout à coup dans les airs de leur propre essor, et sans avoir besoin de notre aide. Ainsi la forêt se charge partout de ses fruits naturels ; (2, 430) ainsi les buissons incultes, asiles des oiseaux, rougissent sous leurs baies sanglantes. Le cytise est brouté par les troupeaux ; les plus hautes futaies te fournissent des torches résineuses, flambeaux des nuits qui se nourrissent de leurs propres sucs, et qui répandent à flots la lumière. Et, devant tant de biens, les hommes hésiteraient à planter, et à s’épuiser dans les travaux !