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Si tu aimes mieux élever des troupeaux de toute espèce, de jeunes taureaux, des agneaux, la bande dévastatrice des chèvres, va dans les bois et dans les grasses plaines de Tarente ; ou encore dans ces campagnes qu'a perdues ma chère et infortunée Mantoue, dans ces herbages du Mincio que paissent des cygnes blancs comme la neige. (2, 200) Là ne manquent aux troupeaux ni les claires fontaines, ni l'herbe épaisse ; et autant ils en brouteront durant les plus longs jours, autant la fraîche rosée en fera renaître dans les plus courtes nuits.

Les terres noirâtres, grasses sous le soc, tendres au labour, qualités que la culture parvient à imiter, sont excellentes pour le froment ; d'aucun autre champ tu ne verras revenir plus d'attelages attardés par le poids des moissons. Tels sont encore ces terrains d'où le laboureur a extirpé d'une main irritée les forêts séculaires ; abattant les arbres si longtemps inutiles, arrachant avec leurs racines ces antiques demeures des oiseaux, (2, 210) qui, chassés de leurs nids, se sont envolés dans les airs. Ces terrains incultes, défoncés par le soc, brillent entre tous par leur fécondité.

Mais ce maigre sol, où tout n'est que pente et gravier, offre à peine aux abeilles l'humble lavande et le romarin. Le tuf raboteux, et la craie rongée comme par la dent des noires vipères, n'ont une douce pâture et des retraites profondes que pour ces reptiles impurs. Cette terre poreuse, qui laisse échapper de légères vapeurs et des exhalaisons nébuleuses, qui pompe et qui rend tour à tour la même humidité, qui se revêt sans cesse d'un frais gazon, (2, 220) et où le fer n'est point entamé par les sels rongeurs de la rouille, cette terre se prête à tout : elle laisse s'entrelacer les vignes riantes et les ormeaux ; elle est féconde en oliviers : cultive-la seulement, et tu verras comme elle est bonne pour tes troupeaux, comme elle endure la charrue. Tels sont les champs que laboure la riche Capoue, telles les plaines voisines du mont Vésuve, et celles où déborde le Clanius funeste à Acerra, que ses habitants désertent.

Je vais dire maintenant par quelle épreuve tu pourras reconnaître la nature d'une terre, et distinguer celle qui est légère de celle qui est forte ; l'une convenant mieux à la vigne, l'autre au blé. (2, 230) D'abord choisis dans le sol un endroit ferme, où tu feras creuser une fosse profonde ; tu y rejetteras les terres qui en auront été tirées, et tu les aplaniras à la surface, et en les foulant aux pieds. S'il en manque pour combler la fosse, ton sol est léger, et excellent pour tes troupeaux et pour la vigne. Au contraire, si les terres ne peuvent pas rentrer dans le lieu d'où elles sont sorties, et si, la fosse comblée, elles en excèdent les bords, ton sol est fort ; attends-toi à des mottes énormes, à des glèbes qui retarderont le soc ; fends-les avec tes plus robustes taureaux. La terre salée et qu'on dit amère porte malheur aux fruits ; elle ne s'adoucit point par le labour ; (2, 240) la vigne y dégénère, la pomme y perd et ses sucs et son nom. Voici comment cette terre se reconnaît. Détache de ton toit enfumé tes corbeilles