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fond avec un ciment visqueux, (1, 180) de peur que l’herbe ne pousse au travers, ou que le sol ne se fende, vaincu par la sécheresse. Alors que d’ennemis obscurs se jouent de toi ! souvent un misérable petit rat fait son trou dans ton aire, et s’y établit comme dans son grenier à blé ; ou bien c’est la taupe aveugle qui y creuse sa retraite. On y découvre encore l’immonde crapaud, et mille autres monstres, enfants ténébreux de la terre ; c’est là que se logent le charançon, ce dévastateur des granges, et la fourmi, qui butine pour le temps de la vieillesse indigente.

Regarde l’amandier dans les forêts, quand il commence à se couvrir de fleurs, et qu’il courbe vers la terre ses rameaux odorants : s’il abonde en fruits, c’est signe d’une pareille abondance pour tes blés, (1, 190) et que de grandes chaleurs t’apporteront de grandes récoltes ; mais si l’arbre surchargé de feuillage n’étale qu’une ombre stérile, hélas ! le fléau ne battra pour toi qu’une vaine moisson de paille !

J’ai vu des laboureurs qui ne semaient leurs légumes qu’après en avoir préparé la semence, et l’avoir détrempée dans l’eau de nitre ou dans le marc d’huile, afin que les grains devinssent plus gros dans leur cosse souvent trompeuse ; mais, quelque art qu’on ait mis à faire ramollir les semences dans une eau doucement échauffée, j’en ai vu des mieux choisies et des mieux apprêtées qui dégénéraient, si l’on n’avait soin chaque année de les trier et de réserver les plus grosses : ainsi tout va (1, 200) en déclinant ; ainsi le destin précipite la fin des êtres ! Je crois voir le nautonnier lutter, la rame à la main, contre le courant qu’il remonte : suspend-il un moment ses efforts ? l’onde roule, et l’entraîne à la dérive.

Le laboureur doit être aussi attentif au lever des constellations de l’Ourse, des Chevreaux et du Dragon, que les matelots qui, regagnant leur patrie à travers des mers orageuses, ont à franchir l’Hellespont et le détroit d’Abydos, fécond en coquillages. Ainsi dès que le signe de la Balance aura égalé les heures de la nuit à celles du jour, et fait aux mortels deux parts semblables de l’ombre et de la lumière, (1, 210) exercez vos taureaux dans les champs, ô laboureurs, et semez l’orge, jusqu’aux premières pluies qu’amène avec lui l’intraitable hiver. C’est aussi le moment de semer le lin et le pavot ; vite donc, et poussez au labour tandis que la terre encore sèche le permet, tandis que les nuées sont suspendues sur vos têtes.

Au printemps se sème la fève, au printemps les sillons reçoivent dans leur sein le trèfle de la Médie, et le millet, qui tous les ans redemande nos soins ; c’est lorsque le brillant Taureau aux cornes d’or a ouvert l’année, et que Sirius, en se retirant devant le soleil, s’est perdu dans sa lumière. (1, 219) Mais si tu remues la terre pour y enfouir le pur froment ou des blés de même force, si tu n’en veux qu’aux seuls grains à épis, attends que les filles d’Atlas, les Pléiades, rentrent dans l’ombre, et que l’ardente couronne d’Ariadne se dégage des feux du soleil : ne va pas mal à propos confier aux sillons les semences convenables ; ne force pas la terre à garder de trop bonne heure les frêles espérances de ton année. Plusieurs ont commencé de semer avant le coucher de Maïa ; mais, la moisson venue, de maigres épis ont trompé leur attente. Veux-tu semer de la vesce, de viles faséoles, et abaisser tes soins jusqu’à l’humble lentille de Péluse ? attends pour commencer, que le Bouvier, descendant sous l’hori-