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que l’expérience et la réflexion enfantassent les arts à la longue ; que le travail des hommes fît sortir l’épi des sillons, et des veines du caillou jaillir et briller l’étincelle.

Alors les fleuves sentirent pour la première fois le tronc creusé de l’aune flotter sur leurs ondes ; le nautonnier compta et nomma les étoiles ; ce furent les Pléiades, les Hyades, et l’Ourse brillante, fille de Lycaon. Alors on commença à tendre des pièges aux bêtes féroces ; la glu trompa les oiseaux ; (1, 140) et les chiens assiégèrent les immenses forêts. Déjà le pêcheur jette la ligne au fond des fleuves ; déjà gagnant la haute mer, il y traîne ses filets humides. Bientôt le fer est façonné ; j’entends crier la dent de la scie mordante : car les premiers humains ne savaient que fendre le bois avec des coins ; alors naquirent comme à l’envi les arts divers. Un travail opiniâtre triompha de tout : rien qui ne cède à la dure et pressante nécessité.

Cérès la première enseigna aux hommes à mettre le soc dans la terre, alors que les fruits des arbres et le gland des forêts sacrées commencèrent à manquer, et que Dodone refusa aux mortels leur facile nourriture. (1, 150) Bientôt le travail dut venir en aide aux semences : la nielle ronge les blés ; les champs se hérissent de chardons ; les moissons languissent et meurent ; et à la place s’élève toute une forêt d’épines : la bardane, le saligot, la triste ivraie et l’avoine stérile dominent au milieu des riantes cultures. Si, t’armant du râteau, tu ne tourmentes pas incessamment la terre, si tu ne sais pas des bruits qui épouvantent les oiseaux, si tu ne retranches avec la faux les ombres d’alentour qui s’abaissent sur tes champs, enfin si tu n’appelles la pluie de tous tes vœux : hélas ! c’est en vain que tu regarderas les belles récoltes de tes voisins ; il te faudra soulager ta faim en secouant les chênes de la forêt.

(1, 160) Je dois dire les instruments nécessaires au robuste laboureur, et sans lesquels il ne peut ni semer, ni faire lever le blé. C’est d’abord la charrue au bois solide et recourbé avec un soc tranchant ; ce sont les chariots à l’essieu traînant, de la déesse Éleusine ; les madriers pour briser l’épi, les traîneaux, les râteaux aux pesantes ferrures, enfin l’humble attirail d’osier qu’inventa Célée, les claies et le van, mystérieux symbole des fêtes de Bacchus ; toutes choses dont tu feras bien de t’approvisionner à l’avance, si tu prétends à de nobles profits dans l’art divin du labour. (1, 170) Va donc dans les forêts courber à grand’peine l’orme encore pliant, et que déjà il reçoive de tes mains la forme recourbée d’une charrue ; qu’un timon y soit attaché long de huit pieds, et que le soc soit placé autour du sep garni de deux oreillons. Coupe de préférence le tilleul ou le hêtre, bois légers, pour en faire le joug et le manche qui t’aidera à tourner à ton gré l’arrière-train de l’attelage ; mais que tout ce bois suspendu à ton foyer s’y durcisse, éprouvé par la fumée. J’ai encore à te rappeler beaucoup de préceptes de nos ancêtres, si tu n’en es point ennuyé, et si tu ne dédaignes pas ces petites pratiques d’un grand art. Avant tout, il convient de bien aplanir ton aire sous le poids d’un énorme cylindre, de la pétrir en quelque sorte, et d’en consolider le