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âmes, c’est trop peu des rayons du soleil ou des traits éblouissants du jour ; il faut la raison, et un examen lumineux de la nature. (1, 150) Voici donc le premier axiome qui nous servira de base : Rien ne sort du néant, fût-ce même sous une main divine [156]. Ce qui rend les hommes esclaves de la peur, c’est que, témoins de mille faits accomplis dans le ciel et sur la terre, mais incapables d’en apercevoir les causes, ils les imputent à une puissance divine. Aussi, dès que nous aurons vu que rien ne se fait de rien, déjà nous distinguerons mieux le but de nos poursuites, et la source d’où jaillissent tous les êtres, et la manière dont ils se forment, sans que les dieux y aident.

(1, 160) Si le néant les eût enfantés, tous les corps seraient à même de produire toutes les espèces, et aucun n’aurait besoin de germe. Les hommes naîtraient de l’onde, les oiseaux et les poissons de la terre ; les troupeaux s’élanceraient du ciel ; et les bêtes féroces, enfants du hasard, habiteraient sans choix les lieux cultivés ou les déserts. Les mêmes fruits ne naîtraient pas toujours sur les mêmes arbres, mais ils varieraient sans cesse : tous les arbres porteraient tous les fruits. Car si les corps étaient privés de germes, se pourrait-il qu’ils eussent constamment une même source ? (1, 170) Mais, au contraire, comme tous les êtres se forment d’un élément invariable, chacun d’eux ne vient au monde que là où se trouve sa substance propre, son principe générateur ; et ainsi tout ne peut pas naître de tout, puisque chaque corps a la vertu de créer un être distinct.

D’ailleurs, pourquoi la rose s’ouvre-t-elle au printemps, pourquoi le blé mûrit-il aux feux de l’été, et la vigne sous la rosée de l’automne, sinon parce que les germes s’amassent à temps fixe, et que tout se développe dans la bonne saison, et alors que la terre féconde (1, 180) ne craint pas d’exposer au jour ses productions encore tendres ? Si ces productions étaient tirées du néant, elles naîtraient tout à coup, à des époques incertaines et dans les saisons ennemies, puisqu’il n’y aurait pas de germes dont le temps contraire pût empêcher les féconds assemblages.

D’autre part, si le néant engendrait les êtres, une fois leurs éléments réunis, il ne leur faudrait pas un long espace de temps pour croître : les enfants deviendraient aussitôt des hommes, et l’arbuste ne sortirait de terre que pour s’élancer au ciel. Et pourtant rien de tout cela n’arrive ; les êtres (1, 190) grandissent insensiblement (ce qui doit être, puisqu’ils ont un germe déterminé), et en grandissant ils ne changent pas d’espèce ; ce qui prouve que tous les corps s’accroissent et s’alimentent de leur substance première.

J’ajoute que, sans les pluies qui l’arrosent à point fixe, la terre n’enfanterait pas ses productions bienfaisantes, et que les animaux, privés de nourriture, ne pourraient multiplier leur espèce ni soutenir leur vie : de sorte qu’il vaut mieux admettre l’existence de plusieurs éléments qui se combinent pour former plusieurs êtres,