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mon champ, mon royaume, et ses rares épis ? Quoi ! c’est pour un soldat inhumain que j’ai tant cultivé ces guérets ! Le barbare aura ces moissons ! Voilà donc où la discorde a amené de malheureux citoyens ! Voilà pour qui nous avons ensemencé nos champs ! Ente donc, Mélibée, ente des poiriers, range tes vignes sur le coteau. Allez, mes chèvres, troupeau jadis heureux, allez : je ne vous verrai plus, de loin couché dans un antre verdoyant, pendre aux flancs des roches buissonneuses. Je ne chanterai plus ; non, mes chèvres, vous n’irez plus, menées par moi, brouter le cytise en fleur et les saules amers.

TITYRE.

(1, 80) Cependant tu peux, cette nuit, reposer avec moi sur un lit de feuillage. J’ai des fruits savoureux, des châtaignes amollies par la flamme, un laitage abondant. Déjà les toits des hameaux fument au loin, et les ombres grandissantes tombent des hautes montagnes.






ÉCLOGUE II.
ALEXIS.

(2, 1) Le berger Corydon brûlait pour le bel Alexis, les délices de son maître, et il n’avait pas ce qu’il espérait. Seulement il venait tous les jours sous les cimes ombreuses des hêtres épais ; là, seul, sans art, il jetait aux monts, aux forêts cette plainte perdue : « Ô cruel Alexis, tu dédaignes mes chants, tu n’es point touché de ma peine ; à la fin, tu me feras mourir. Voici l’heure où les troupeaux cherchent l’ombre et le frais ; où les vertes ronces cachent les lézards ; (2, 10) où Thestylis broie l’ail et le serpolet odorants, pour les moissonneurs accablés des feux dévorants de l’été. Et moi, attaché à la trace de tes pas, je n’entends plus autour de moi que les buissons qui retentissent, sous un soleil ardent, des sons rauques des cigales. Ne m’eût-il pas été moins dur de supporter les tristes colères et les superbes dédains d’Amaryllis ? Que n’aimé-je Ménalque, quoiqu’il soit brun, quoique tu sois blanc ? Ô bel enfant, ne compte pas trop sur la couleur : on laisse le blanc troëne, on cueille la noire airelle. Tu me méprises, Alexis, et tu n’as souci de savoir qui je suis, (2, 20) combien je suis riche en troupeaux, combien en blanc laitage. Mille brebis paissent pour moi sur les monts de Sicile ; l’été, l’hiver, le lait nouveau ne me manque pas. Je chante les airs que chantait, quand il appelait ses troupeaux, Amphion de Thèbes sur le haut Aracynthe. Je ne suis pas si affreux ; je me suis vu naguère sur le rivage, dans la mer calme et unie ; et si le miroir des eaux ne nous trompe jamais, je ne craindrais pas, te prenant pour juge, Daphnis pour