nis ? Ce n’est point pour se prêter à l’opinion populaire que Lucrèce fait tomber les étoiles : il ne parle pas ici en poëte, mais en physicien. Comme Épicure était persuadé que le soleil, la lune, les astres, ne sont pas plus gros qu’ils ne nous le paraissent, il en concluait que ces vapeurs enflammées, que nous voyons tomber pendant la nuit, sont de véritables étoiles. Il ne faudrait donc pas traduire ici le mot stellas par feux nocturnes.
v. 257. Unde est hæc, inquam, fatis avolsa voluntas. Il est impossible de se figurer comment la liberté humaine repose sur la déclinaison des atomes. Cette déclinaison est-elle nécessaire ou accidentelle ? Si elle est nécessaire, comment la liberté peut-elle en être le résultat ; si elle est accidentelle, par quoi est elle déterminée ? Qu’est-ce d’ailleurs que ce mouvement oblique que Lucrèce établit, par la seule raison qu’il lui est indispensable pour expliquer la formation des êtres ? On voit que c’est là un côté faible, un point vulnérable du système d’Épicure ; et les attaques ne lui ont pas manqué. Nous n’essayerons pas de résoudre le problème. Remarquons seulement avec quel art Lucrèce noue le fil imperceptible de ces raisonnements, et avec quels merveilleux efforts de poésie il cherche à éblouir, à entraîner la conviction qui hésite.
v. 430. Fæcula jam quo de genere est, inulæque sapores. Il s’agit ici de deux assaisonnements. La fécule (fæx) était d’un goût piquant, et faite, comme son nom l’indique, avec la lie acide du vin. L’aulnée était une sauce extraite des racines à la fois douces et amères d’une plante ainsi nommée.
v. 474. Humor dulcis, ubi per terras crebrius idem Percolatur. Les anciens croyaient que les eaux de la mer, filtrées à travers le sol, alimentaient les sources des fleuves.
v. 599. Quare magna Deum Materque ferarum. La plupart des philosophes croyaient que les espèces vivantes, ainsi que les dieux, devaient l’existence à la terre ; et les peuples de l’antiquité ont presque tous divinisé cette mère commune. La manière dont Lucrèce interprète les allégories de ce culte est ingénieuse, et pleine de la plus noble philosophie, de la plus haute morale, quoique souvent un peu forcée.
v. 615. Gallos attribuunt. Les Galles étaient des prêtres de Cybèle, dont la Phrygie inondait l’empire romain. Les anciens nous les ont représentés comme des vagabonds, des fanatiques et des misérables, dont on avait souvent à craindre la fureur. Ils portaient l’image de la mère des dieux ; ils allaient quêter pour elle ; on dit même qu’ils connaissaient toutes les ressources de la nécromancie, qu’ils jouaient des gobelets, et qu’ils prédisaient l’avenir.
v. 621. Et Phrygio stimulat numero cava tibia menteis. Le mode phrygien est un des quatre principaux modes de la musique grecque ; c’est aussi l’un des plus antiques. Le caractère en était vif, impétueux, fier, ardent et terrible. Aussi était-ce, suivant Athénée, sur le ton ou mode phrygien qu’on sonnait de la trompette, et qu’on jouait des autres instruments militaires. Ce mode, inventé, dit-on, par le Phrygien Marsyas, tient le milieu entre le lydien et le dorien, sa finale étant à un ton de distance de l’un et de l’autre.
v. 630. Hic armata manus, Curetas nomine Græcei Quos memorant Phrygios. On regarde les Curètes comme les plus anciens ministres de la religion païenne. Livrés à la contemplation, ces prêtres étaient en Crète ce que les Mages furent en Perse, les Druides dans la Gaule, et les Saliens à Rome. On leur attribue l’invention de quelques arts. Dans leurs cérémonies, ils dansaient tout armés au bruit des cris tumultueux, des tambours, des flûtes, des sonnettes. Ils frappaient avec des épées sur des boucliers, et semblaient s’animer d’une fureur divine, qui épouvantait un peuple crédule. Il y en avait en Crète, en Phénicie, en Phrygie, à Rhodes, et par toute la Grèce. Ils se livraient à une douleur effrénée, et se mutilaient même en l’honneur de Cybèle, désespérée de la mort d’Atys. Ils observaient enfin des jeûnes si rigoureux, qu’ils s’interdisaient jusqu’à l’usage du pain.
v. 810. Et quoniam plagæ quoddam genus excipit in se Pupula. Ce vers est remarquable en ce qu’il montre qu’Épicure ne regardait la vue que comme un tact d’une certaine espèce. Les autres sensations sont également rapportées au tact dans le quatrième livre. Le tact est donc, pour cette école, le sens par excellence, le plus général de tous. En effet, parmi les êtres qui ont ou auxquels nous attribuons la sensibilité, il y en a qui paraissent privés de la vue, d’autres qui semblent dépourvus d’ouïe ou d’odorat ; mais il n’y en pas un seul à qui la nature ait refusé le tact. Voilà sans doute pourquoi Lucrèce s’écrie plus haut avec tant d’enthousiasme :
Tactus enim, tactus, proh Divom numina sancta !
Corporis est sensus.
v. 1105. Multaque post mundi tempus genitale. Les commentateurs de Lucrèce, et Gassendi lui-même, n’ont point remarqué ce passage autant qu’il méritait de l’être ; il sert à expliquer plusieurs endroits de la philosophie corpusculaire. Épicure croyait que non-seulement notre monde, mais encore tous les autres, dont il supposait le nombre infini, étaient environnés d’éléments extérieurs, comme notre globe est environné par l’air. Ces éléments, placés dans les intervalles des mondes, les alimentaient en s’incorporant à leur substance, et en réparaient les pertes. Ils empêchaient aussi, à l’aide d’une pression extérieure, les atomes constitutifs de chaque monde de rompre leur assemblage, et de se disperser dans le vide.
v. 1145. Sic igitur magni quoque circum mœnia mundi Expugnata dabunt labem. Presque toutes les écoles de philosophie reconnaissaient, non-seulement que le monde courait à sa perte, mais encore qu’il approchait de son terme. Platon annonçait le dépérissement de ses forces ; Sénèque se plaisait dans cette lugubre contemplation, et le christianisme saisit avidement ce dogme terrible. Saint Cyprien a dit comme Lucrèce : Jam scire debes mundum non illis viribus stare quibus ante steterat, nec eo robore valere quo ante prævalebat. De là ces calculs, ces prédictions qui épouvantèrent successivement tous les âges ; prédictions sans cesse démenties, sans cesse renaissantes, et que les générations humaines se transmettaient comme une sorte de terreur périodique !
v. 1155. Aurea de cælo demisit funis in arva. Ce vers fait allusion à une fable racontée par Homère dans le huitième livre de l’Iliade. Cette fable, d’après Platon, n’est qu’une belle et ingénieuse allégorie du soleil, dont les rayons, semblables à une chaîne d’or, font descendre la vie et la fécondité sur l’univers.
v. 1156. Nec mare, nec fluctus, plangentes saxa, crearunt. Lucrèce réfute ici l’opinion, longtemps accréditée, que les hommes étaient nés de l’Océan. Platon regardait cette doctrine comme très-ancienne ; c’était celle de Thalès. De là toutes ces fables adoptées par les poëtes. Homère fait naître tous les dieux de l’Océan :
Ὠϰεανόν τε, θεῶν γένεσιν, καὶ μητέρα Τηθύν.
Voilà l’origine de la fable de Vénus sortant de l’écume des ondes, et l’étymologie du nom de Rhéa (ῥέω), cette déesse de l’âge d’or ; c’est encore par là qu’on peut expliquer le culte que presque tous les peuples de la terre ont rendu à l’eau.